Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/534

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et il a reçu le pouvoir de tuer le quart de l’humanité par le glaive, par la faim, par la peste et par les bêtes féroces.

Aujourd’hui, ce seront les hommes eux-mêmes qui accompliront le rôle des bêtes féroces.


Lundi, 10 août 1914.

Sazonow presse le Gouvernement italien d’accéder à notre alliance. Il lui propose un accord sur les bases suivantes :

1° L’armée et la flotte italiennes attaqueront immédiatement l’armée et la flotte austro-hongroises ; 2° Après la guerre, le pays de Trente, les ports de Trieste et de Vallona seront annexés à l’Italie.

Du côté de Sofia, les impressions ne sont pas rassurantes. Le tsar Ferdinand est capable de toutes les turpitudes et de toutes les félonies, quand sa vanité ou ses rancunes sont en jeu. Or, je connais trois pays auxquels il a voué un ressentiment implacable : la Serbie, la Roumanie et la Russie. Je m’en explique avec Sazonow ; il m’interrompt :

— Comment ?… Le tsar Ferdinand en veut à la Russie I Et pourquoi donc ?

— D’abord, il accuse le Gouvernement russe d’avoir pris le parti de la Serbie et même de la Roumanie, en 1913. Puis, il y a les griefs anciens, qui sont innombrables…

— Mais quels griefs ?… Nous l’avons toujours comblé de faveurs. Et quand il est venu ici, en 1910, l’Empereur l’a traité avec les mêmes honneurs, les mêmes égards que s’il avait été le souverain d’un grand royaume. Qu’aurions-nous pu faire de plus ?

— Ce voyage de 1910 est précisément un des griefs qui lui sont le plus cuisants… Le lendemain de son retour à Sofia, il m’a fait appeler au palais et m’a dit : « Mon cher ministre, je vous ai prié de venir me voir ; car j’ai besoin de vos lumières pour démêler les impressions que je rapporte de Saint-Pétersbourg. Je n’ai pas réussi en effet à comprendre si ce qu’on y déteste le plus, c’est mon peuple, mon œuvre ou ma personne. »

— Mais c’est fou !

— Le mot n’est pas trop fort… Il y a indubitablement, chez le personnage, des signes de dégénérescence nerveuse et de déséquilibre psychique : impulsions, phobies, idées fixes, mélancolie, mégalomanie, délire de la persécution. Il n’en est que plus dangereux ; car il met au service de ses ambitions et de ses