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un beau nom, mais là-bas, où le mariage de notre race avec le sol a pour symbole l’identité de notre nom et de celui du pays. Oui, à Malhyver, je suis une force et qui peut être utile. La France d’après la guerre a besoin d’être soutenue, d’être développée dans sa vie rurale. Il lui faut des propriétaires qui résident, et pas pour toucher des fermages, pour triturer des votes, pour subventionner telle ou telle œuvre, mais pour être des terriens d’abord, des cultivateurs, simplement. Cela s’apprend, la culture, même à mon âge. Il lui faut, à cette France rurale, des exemples, des conseillers, des amis, qui retiennent le paysan à la campagne, qui ralentissent son émigration vers la ville, rien que par la présence, qui l’éclairent aussi, qui l’aident non pas à voter, mais à penser. C’est l’humble et grande tâche que j’ai décidé de me donner. Je n’ai pas le choix. Continuer de vivre à Paris comme nous y avons vécu, non, non et non. Je ne m’en estimerais pas. Et d’ailleurs je ne pourrais plus. Quand on s’est battu quatre ans, on a traversé l’enfer, vous savez. On est changé. Il est si intense, en moi, cet appel du devoir nouveau, que j’ai vu, dans notre demi-ruine, un événement providentiel… Mais, — conclut-il en s’arrêtant de ses allées et venues, comme un homme qui s’est libéré le cœur, dans un sursaut d’absolue sincérité, — mais je vous ai retenue trop longtemps. Nous reprendrons cette conversation une autre fois. J’ai voulu seulement, à la veille peut-être d’un dénouement fatal de la maladie de notre tante et d’un changement possible dans notre situation de fortune, vous avoir prévenue. Il n’y aura pas de changement dans la résolution que je vous ai dite, voici trois semaines. Elle est définitive. J’espère que votre acceptation sera définitive aussi…

— Et si elle ne l’était pas ? osa répondre Odette.

— Je ne suis pas un tyran, mon amie, dit Malhyver, avec une douceur triste dans la voix qui faisait contraste à son énergie de tout à l’heure. Je pense, et c’est un de mes motifs encore pour vous avoir parlé ce soir, que vous sentirez, vous aussi, qu’une femme française doit aux morts de la guerre, qui se sont fait tuer pour défendre nos foyers, qu’elle se doit à elle-même de ne pas toucher aux pierres du sien. Mais allez reposer, et, avant de nous séparer, laissez-moi vous embrasser.

Il l’attira contre lui et lui mit sur le front un baiser qu’elle ne lui rendit pas. Il la regarda franchir la porte sans qu’elle eût