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jadis « potassé » ce bouquin, pour emprunter leur argot aux internes d’hôpital qu’il fréquentait à cette époque. Quand sa femme revint, après un quart d’heure, coiffée pour la nuit, et plus pâle encore dans sa robe de chambre de soie chinoise intensément orange avec de grandes fleurs, il posa le livre ouvert sur une table. Puis, visiblement gêné :

— L’entretien que je voudrais avoir avec vous, ma chère. Odette, commença-t-il, est bien délicat.

— Ne pourrions-nous pas le remettre à demain ?… dit-elle.

— Non, répondit-il nettement.

Cette fois, elle n’avait plus de doute. Cet embarras à l’entamer cet entretien, cette insistance pourtant à l’aborder s’expliquaient trop. Elle allait subir l’interrogatoire redouté, dans lequel il lui faudrait défendre son amour. Elle avait si peu de force, sous le poids de l’action qu’elle venait d’amorcer et qui avait peut-être son plein effet à ce même instant ! Qu’elle était troublée, et davantage encore, à constater dès les premiers mots que cette conversation allait rouler, non pas sur ses relations avec Xavier de Larzac, mais sur un sujet qui lui rendait plus cruellement présent son geste criminel de tout à l’heure !

— Le médecin vous a menti pour vous ménager, Odette, avait repris Géraud. Je viens de consulter ce livre de médecine. — Il le montrait. — Votre tante est en danger, dans un extrême danger. C’est le côté délicat, dans ce que j’ai à vous dire. Il est affreux, quand un être humain se débat entre la vie et la mort, de supputer les conséquences de son agonie sur des intérêts d’argent. Mais cette mort possible, prochaine, selon toute vraisemblance, de la tante Naïs, ouvre des perspectives sur lesquelles j’ai besoin d’être fixé. Je vous dirai pourquoi, quand vous m’aurez répondu.

— Expliquez-vous, dit-elle, je ne vous comprends absolument pas.

— C’est bien simple, fit-il, si votre tante meurt, vous en héritez. C’est du moins infiniment probable… Ce que je voulais vous demander, c’est ceci : au cas où cette éventualité se produirait, pensez-vous qu’il y ait lieu de rien changer à la résolution que nous avons prise en commun, l’autre semaine ?

— Celle de quitter Paris, d’aller vivre à Milhyver ?

— Oui.