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romanciers. des essayistes ; — le savant, des ouvrages de médecine, de physique, de chimie, de philosophie — l’homme du monde, des mémoires, des traités de vénerie, d’équitation, d’escrime, des monographies écrites par des amateurs. Cet assemblage incohérent dénonçait les préoccupations d’une jeunesse sans idée directrice, et tour à tour attirée de tous les côtés, une pensée omnivore, à la fois insatiable et changeante, que des curiosités contrastées avaient menée sur vingt chemins divers, sans terme fixe auquel arriver. Dans la tragédie intime dont le criminel égarement d’Odette fut le prologue, le caractère de son mari a joué un tel rôle, et ce caractère avait lui-même été si profondément influencé par cette éducation de son esprit, qu’il est nécessaire d’y insister dès maintenant. C’est risquer de ralentir le récit, mais en même temps lui donner sa pleine signification. Cette bibliothèque ne mentait pas. Elle offrait le raccourci mental d’un homme qui s’était prêté à des études de tout genre sans se donner à aucune. Un dilettantisme inefficace, faute de jamais se ramasser, avait seul pu réunir ainsi les éléments d’une culture, trop peu persévérante pour n’être pas stérile. Géraud de Malhyver représentait une variété de notre aristocratie d’aujourd’hui : le noble intellectuel, dans quelques-uns de ses traits les plus contemporains. Tout patriciat qui n’est plus que nominal, — c’est le cas du nôtre depuis un siècle, — tend à développer chez ceux qui le composent un instinct de défense, lequel aboutit trop souvent à un étrange sentiment : le goût du mépris. Par un détour, inattendu, mais très logique, il arrive que ce dédain se retourne, dans certains de ses membres, contre la caste même qui l’a sécrété. C’avait été le cas pour Géraud. Il n’hésitait pas à dire avec un orgueil tranquille : « Quand on s’appelle comme nous… » et cependant il eût rougi de partager les plaisirs et les idées de la plupart des personnes de sa classe. A aucun prix, il n’eût consenti à épouser une bourgeoise, et ce qu’il estimait par-dessus tout, c’était la qualité la plus individuelle, la plus étrangère à la naissance, la plus bourgeoise, parce qu’elle est par excellence l’apanage des conditions moyennes : le talent. Quand une telle disposition d’esprit se trouve unie à un grand bon sens, elle produit des personnalités très complètes et supérieures. Notre âge peut en citer quelques-uns : un marquis et un vicomte de Vogué, un duc de Broglie, pour ne parler que des morts. Trop