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des lettres, de rares visites quelquefois, de pauvres huit jours volés à l’exil… Et alors ?… Elle demeurait immobile, comme brisée, comme atterrée par une menace qui exaspérait encore toutes les sensations de détresse traversées depuis ces trois dures semaines. Mais n’y avait-il pas une chance, même plus qu’une chance, une certitude d’échapper à cette détresse ? Du moment que la méticuleuse Mlle de Sailhans avait placé ainsi ce testament parmi ses papiers de famille, elle n’en avait certainement pas rédigé d’autre. Le codicille, tout récent, d’une écriture tremblée, le prouvait d’ailleurs et que la vieille fille, se sentant atteinte, avait passé une dernière revue de ses tiroirs, pour confirmer et compléter ses dernières volontés. Cette feuille détruite, c’était le retour assuré des cinq millions à ces héritiers naturels dont la dévote avait condamné les façons de vivre. Elle avait écrit le pluriel, ne voulant pas désigner nommément la fille de son frère. Pour écarter une autre tentation, plus coupable que n’avait été la première, Odette la replia, cette feuille de papier, vivement. Elle la remit à sa place sous la liasse des autres papiers en ayant soin de retourner vers la table le côté de l’écriture pendant ce temps-là, pour ne pas être tentée de relire les mots qui la déshéritaient. Elle repoussa le tiroir non moins vivement, le ferma, fit le geste d’abaisser l’abattant… Elle s’arrête. On dirait qu’un pouvoir, plus fort qu’elle-même, la contraint, comme tout à l’heure, de réaliser le projet apparu avec une si troublante netteté dans le champ de son esprit. Ses doigts qui tenaient les deux boutons de cuivre de l’abattant, au lieu de l’abaisser, le relèvent. Brusquement, elle rouvre le tiroir, défait la liasse, prend le testament, marche vers la cheminée, où le bois continue de brûler paisiblement. Elle pose le papier sur la braise. La flamme palpite autour, le cerne et soudain s’élève toute claire. Comme égarée, elle regarde le feu dévorer la feuille, qui se recroqueville en grésillant. Avec une pincette, elle écrase dans les cendres les débris noirâtres. Alors, ramenée, comme il arrive, par l’accomplissement de son acte, au sentiment du danger, elle se relève. Avec des précautions, cette fois, lentement de nouveau et sur la pointe des pieds, elle marche vers le secrétaire, en répare le désordre. Elle écoute. Il lui semble qu’elle n’entend plus venir du lit cette respiration de personne endormie qui la rassurait. Elle a pris la lampe, afin de la reporter sur la console, dans