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lignes sur un morceau de papier suffisaient pour qu’elle la perdit ! Elle se redressa sur le fauteuil, mordue déjà par la tentation. Quelle tentation ? de savoir d’abord, de tenir la preuve que le sentiment de la famille l’avait emporté chez Mlle de Sailhans. Odette, après tout avait-elle à sa reprocher un tort sérieux vis avis de sa tante ? Des négligences de forme, des divergences dans la façon de vivre, prévaudraient-elles contre la communauté du sang ? Non. Elle ne pouvait pas être déshéritée. Elle se l’affirmait avec toute la force de son désir, et, en même temps, elle regardait autour d’elle. D’instinct, ses yeux cherchaient l’endroit où la vieille fille avait dû mettre ce testament, s’il existait. Athénaïs de Sailhans avait toujours été très secrète sur le maniement de sa fortune. Ces temps derniers, elle en était arrivée à une méfiance presque morbide, dont les Malhyver avaient reçu un témoignage bien significatif. Leur notaire, maître Métivier, qui gérait aussi les intérêts de leur tante, s’en était plaint à eux. Si donc elle avait écrit un testament, elle le gardait par devers elle, et certainement dans cette même pièce qu’elle ne quittait plus depuis des mois, laissant toutes les autres salles de l’hôtel houssées et fermées. Sa manie soupçonneuse s’étendait jusqu’à ses domestiques, qu’elle, avait pourtant chez elle de très longue date. Ces dernières semaines en particulier, elle avait réduit leur service à son minimum, n’acceptant plus que les soins de la Sœur Félicité. De cette réclusion volontaire résultait un tel encombrement de meubles de tous les styles que cette vaste chambre à coucher en paraissait étroite. Odette continuait de la scruter de son regard inquisiteur. Où se cachait son testament ? Dans ce bahut ou cette commode du temps de Louis XIV, dans ce bonheur du jour du temps de Louis XVI, dans cette armoire Empire, ou plutôt dans ce bureau massif à cylindre, placé contre le mur, près de la fenêtre ? La nièce avait vu sa tante assise devant, combien de fois, qui de là surveillait la cour. L’abattant était abaissé et fermé à clef. Ce détail attestait la constante précaution de la vieille demoiselle. Il fit surgir une autre question dans l’esprit d’Odette. Cette clef, où se trouvait-elle en ce moment ? Où celles des autres meubles ? A l’ordinaire, Mlle de Sailhans portait tout un trousseau dans une petite pochette cousue à son jupon de dessous. Surprise par son attaque, on avait dû la déshabiller en hâte. Où avait-on rangé ses vêtements, certainement