Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

importants en étaient, avec les difficultés du ménage, des susceptibilités de propos, autour d’une conversation, des racontages écoutés et répétés, des troubles de conscience à l’occasion de quelque péché imaginaire, des craintes de santé. Mademoiselle de Sailhans était devenue, avec l’âge et la maladie commençante, de plus en plus anxieuse. L’hémorrhagie actuelle marquait l’ultime accident d’un endurcissement progressif des artères cérébrales, manifesté par une irritabilité croissante, un puérilisme chaque jour plus accusé, une observation et une interprétation continue des moindres symptômes personnels. Cette hypocondrie durait depuis des années sans que rien parût la justifier. Elle avait fait s’établir dans la famille une légende : « Les gens qui se croient toujours malades sont ceux qui se portent le mieux. Voyez tante Nais. Elle se plaint sans cesse. Elle vivra cent ans. » De telles phrases, répétées indéfiniment, prennent, pour ceux qui les redisent et les entendent chaque jour, une certitude d’axiome. Odette de Malhyver était si profondément convaincue de la robustesse de la vieille fille atrabilaire qu’à son mari lui dressant leur bilan de ruine, elle n’avait pas objecté la fortune de leur tante qui pouvait, qui devait leur revenir. Elle en était l’héritière naturelle. Cette idée ne lui avait même pas traversé l’esprit, quoique, depuis deux mois déjà, Mlle de Sailhans eût dû prendre une garde à demeure, cette bonne Sœur Félicité dont l’optimisme professionnel avait dissimulé à l’entourage la gravité des signes prémonitoires d’une crise imminente : un mal de tête continu, l’insomnie nocturne et la somnolence diurne, des troubles de la station et de la marche. À la nouvelle de l’attaque, Odette n’avait éprouvé, sous le coup du saisissement, que deux impressions contradictoires et pourtant logiques : le frémissement de la fibre humaine devant une des innombrables déchéances physiques qui nous attendent tous sous une forme ou sous une autre, — la déception de cette soirée manquée, et qu’elle espérait passer avec son amant. Et voici qu’au chevet de la malade endormie, cette idée d’une fin toute proche et celle de l’héritage possible se levaient en elle, suggérées, l’une par le silence triste de cette chambre, cette demi-lumière, ces rideaux baissés, ce souffle inégal, — l’autre par la violente révolte de son amour contre la cruelle perspective du départ, et dans quelles menaçantes conditions ! Son instinct irraisonné fut pourtant de les repousser, ces dangereuses idées. Elle sentait