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cependant, d’une jeune femme très jolie et très garçonnière, avec un jeune homme très sensible à l’élégance et à la grâce ? C’était la réponse que l’amant avait faite à sa maitresse, chaque fois que celle-ci lui avait montré sa jalousie. Chaque fois Odette avait voulu croire à cette protestation, et toujours la jalousie était revenue, d’autant plus muette que la blessure était plus saignante. Elle reculait maintenant devant des scènes dont elle devinait qu’elles irritaient Xavier. Pour une femme qui aime, craindre d’irriter un amant, c’est reconnaître que cet amant l’aime moins, qu’il ne l’aime plus. Doute affreux et déjà si profondément entré dans le cœur d’Odette qu’elle avait tu à Larzac le projet de son mari. Elle avait tremblé de ne pas rencontrer un chagrin pareil au sien. Hélas ! si, présente, il l’aimait moins déjà : que serait-ce absente ? L’idée de cette reconduite en voiture, à ce même instant peut-être, lui fit soudain si mal, à une place si blessée de sa sensibilité, qu’oubliant l’endroit où elle était, l’heure, la malade, la Religieuse toute voisine, elle dit à voix haute :

— Ah ! Comment, comment rester à Paris ? Comment ? ? répéta-t-elle… Comment ?

Une plainte lui répondit, venue du lit. Rendue à la réalité par ce gémissement, Odette se leva, et la tête penchée dans l’interstice des rideaux, elle demanda, mais tout bas :

— Vous m’appelez, ma tante ?

Aucune réponse, cette fois. La paralytique avait, sans doute, entendu l’exclamation de la jeune femme, mais dans le sommeil, sans rien percevoir qu’un bruit qui l’avait troublée et ne l’avait pas éveillée. Elle continuait de dormir, sans plus gémir. Odette la considérait avec une pitié encore attendrie par la crise d’émotion qu’elle venait de traverser. A la faible lueur de la lampe, posée là-bas, dans un angle, elle regardait, comme la Sœur tout à l’heure, ce visage pâle et flétri, ces traits altérés, la terrible déviation de la bouche et de la narine, et elle se rappelait un tableau de famille, conservé dans son petit salon, à elle, où sa tante figurait, toute jeune, au milieu des siens. « Comme la vie est courte ! songea-t-elle, en calculant que ce tableau où se trouvait aussi représenté son père, le frère de la mourante, datait de 1860 : Oui, comme la vie est courte ! Et on n’en a qu’une, Pauvre tante ! Qu’a-t-elle fait de la sienne ? »

Il y avait, suspendu au mur, dans la ruelle du lit, un Christ