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source serait de quitter son mari. Mais qui peut le lui conseiller ? Son devoir est auprès de lui, et elle n’a jamais eu l’air de s’apercevoir qu’il la trompait.

On frappa à la porte. Un clerc remit une lettre à Archer. Le jeune homme, reconnaissant l’écriture de sa femme, ouvrit l’enveloppe et lut : « Voulez-vous rentrer le plus tôt possible ? Grand’mère a eu une légère attaque la nuit dernière. Elle a appris, on ne sait comment, avant nous tous, les affreuses nouvelles de la banque. Mon oncle Lovell est absent de New-York, et le scandale a tellement bouleversé mon pauvre papa qu’il ne peut pas quitter sa chambre. Maman a le plus grand besoin de vous. Je vous en prie, venez tout droit chez grand’mère. »

Quelques minutes plus tard, Archer était chez Mrs Mingott. Le vestibule avait l’aspect insolite que prend une maison bien tenue devant l’invasion soudaine de la maladie. Des manteaux et des fourrures s’entassaient sur les chaises ; une trousse et un pardessus de médecin se trouvaient sur la table, où lettres et cartes déjà s’accumulaient.

May mena Archer dans le boudoir de la vieille dame. Ce fut là que Mrs Welland communiqua à son gendre, d’une voix basse, épouvantée, les détails de l’accident. La veille au soir, il s’était passé quelque chose de terrible et de mystérieux. Juste au moment où Mrs Mingott venait de finir sa patience, la sonnette de la porte avait retenti, et une dame soigneusement voilée, que les domestiques ne reconnurent pas tout d’abord, avait demandé à être introduite.

Le maître d’hôtel, au son d’une voix familière, avait ouvert les portes du boudoir en annonçant : « Mrs Julius Beaufort. » Les deux dames avaient dû rester ensemble, estimait-il une heure à peu près. Quand Mrs Mingott sonna, Mrs Beaufort s’était déjà esquivée, et la vieille dame était seule, assise dans son grand fauteuil, toute blanche et effrayante à voir. Elle fit signe au maître d’hôtel de l’aider à regagner sa chambre. Sa femme de chambre la mit au lit et se retira. Mais à trois heures du matin, la sonnette retentit encore, et les deux domestiques accoururent à cet appel insolite (la vieille Catherine dormait ordinairement comme un enfant). C’est alors qu’ils avaient trouvé leur maîtresse appuyée contre les oreillers, les lèvres grimaçantes, tandis qu’une de ses petites mains pendait inerte au bout de l’énorme bras.