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serait de même pour les Beaufort, en dépit du pouvoir du banquier et de la vogue mondaine de sa femme. Toute la force liguée de ses parents ne pourrait sauver la pauvre Regina, si les bruits qu’on faisait courir sur les spéculations illicites de son mari se confirmaient.

La conversation aborda des sujets moins sombres, mais qui semblaient tous renforcer chez Mrs Archer le sentiment que la société était en train de s’effondrer.

— Je sais, Newland, que tu autorises la chère May à aller aux dimanches de Mrs Struthers, commença-t-elle.

May l’interrompit en riant :

— Oh ! vous savez, tout le monde va maintenant chez Mrs Struthers. Elle a été invitée à la dernière réception de grand’mère.

— Je sais, je sais, ma chérie, soupira Mrs Archer, mais que voulez-vous, quand on ne va dans le monde que pour s’amuser ! J’en veux encore un peu à votre cousine Mme  Olenska d’avoir été la première à patronner Mrs Struthers.

Une rougeur subite colora le visage de la jeune Mrs Archer.

— Oh ! Ellen, murmura-t-elle, du même ton de désapprobation dont ses parents auraient dit : « Oh ! les Blenker ! »

C’était la note adoptée par la famille quand il s’agissait de Mme  Olenska, depuis que celle-ci, contre l’avis de ses parents, s’était dérobée aux avances de son mari. Pourtant, chez May, cette attitude surprenait ; Archer la regardait, gêné, et la sentant étrangère à lui, comme cela lui arrivait chaque fois qu’elle subissait l’ambiance familiale. Elle ajouta :

— Je ne crois pas qu’Ellen se soucie beaucoup de l’opinion du monde.

Chacun savait que la comtesse Olenska n’était plus dans les bonnes grâces de sa famille. La vieille Mrs Manson Mingott elle-même, son champion, avait dû renoncer à la défendre quand elle avait refusé de rejoindre son mari. Les Mingott n’avaient pas formulé tout haut leur opinion : la solidarité chez eux était trop forte. Comme le disait Mrs Welland, ils s’étaient contentés de laisser la pauvre Ellen chercher un milieu à son niveau, et elle l’avait trouvé dans les obscures régions où régnaient les Blenker, et où les « gens de lettres » célébraient leurs rites sans prestiges. C’était incroyable, mais c’était un fait : Ellen tournant le dos à son destin de privilégiée se déclassait. La