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— Je… non… c’est-à-dire, j’allais sonner. J’ai poussé jusqu’ici dans l’espoir de trouver madame votre mère. Mais la maison m’a paru abandonnée, et je me suis assis pour attendre.

Miss Blenker, secouant les vapeurs du sommeil, le regarda avec un intérêt croissant.

— Oui ; la maison est abandonnée. Maman n’est pas là, ni la marquise, ni personne autre que moi. Vous ne saviez donc pas que le Professeur et Mrs Sillerton donnent une réception pour maman et pour nous toutes aujourd’hui ? J’ai la malchance de n’avoir pu y aller : j’ai mal à la gorge. Est-ce assez ennuyeux ? Naturellement, ajouta-t-elle gaiement, j’aurais été moins contrariée si j’avais su que vous deviez venir.

Les symptômes d’une coquetterie gauche se manifestaient en elle, et Archer dit brusquement :

— Et Madame Olenska, est-elle allée à Newport aussi ?

Miss Blenker le regarda avec surprise.

— Madame Olenska ? Elle est partie ce matin, appelée par dépêche. — Et, avisant l’ombrelle rose :

— Oh ! mon ombrelle ! Je l’ai prêtée à cette sotte de Katie, qui l’aura laissée ici. — Reprenant son ombrelle, elle ouvrit le dôme rose au-dessus de sa tête. — Oui, Ellen a été appelée hier. Elle veut que nous l’appelions Ellen. Elle a reçu un télégramme de Boston. Son absence doit durer deux jours… J’adore la façon dont elle se coiffe. Et vous ? jabota Miss Blenker.

Archer la regardait sans la voir, — sans rien voir que l’ombrelle ridicule ouverte sur cette grosse tête agitée. Après un moment, il hasarda : — Vous ne savez pas pourquoi Madame Olenska est allée à Boston ? J’espère qu’elle n’a pas reçu de mauvaises nouvelles.

— Je ne crois pas. Elle ne nous a pas dit ce que contenait la dépêche… Ravissante, cette Ellen, ne trouvez-vous pas ?

Archer songeait. Il songeait à la platitude de l’avenir qui l’attendait et, au bout de cette perspective monotone, il apercevait sa propre image, l’image d’un homme à qui il n’arriverait jamais rien. Il regarda le jardin inculte, la maison délabrée, le bois de chênes qui s’emplissait d’ombre. C’était bien l’endroit où il aurait dû trouver la comtesse Olenska, mais elle était loin ! L’ombrelle rose même n’était pas la sienne.

Il dit en hésitant :

— Vous ne savez pas à quel hôtel votre cousine est descen-