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pas sa cause, la délégation italienne s’acheminait vers cette transaction, qu’eût acceptée aussi, sans enthousiasme mais sans excessif regret, l’opinion du pays. Dût la transaction échouer contre l’opposition de M. Wilson et de M. Lloyd George, le bénéfice d’y avoir été favorables nous fût resté acquis en Italie. Allié d’outre-Manche ni associé d’outre-Atlantique n’auraient pu, d’autre part, nous tenir rigueur de l’avoir soutenue auprès d’eux. La plupart des Italiens sont alors hors d’état de comprendre pourquoi, même avec les alliés français et anglais, un terrain d’entente ne peut être trouvé, dont leur délégation puisse se déclarer satisfaite. Dans les contestations qui leur sont faites, ils ne voient que négation de leurs droits et préférence accordée aux Yougo-Slaves.

Négation de leurs droits : ils les estiment, parce que de caractère national et historique, imprescriptibles, sacrés, aussi respectables que les principes de M. Wilson et, dans une large mesure, conformes à ces principes mêmes. M. Wilson n’avait-il pas proclamé le droit d’auto-décision des peuples ? Eh bien ! les Italiens de Fiume, de Zara déclaraient vouloir être réunis à la mère-patrie. L’Italie, après pareille guerre, avait le droit de recueillir dans son unité ses enfants d’outre-Adriatique ; le droit aussi de pourvoir à sa sécurité de tous les côtés. Objecte-t-on que l’amitié y pourvoira du côté de la Yougo-Slavie ? Il vous est répondu que l’amitié ne se commande pas et que se fier à celle des Yougo-Slaves serait pure duperie.

Préférence accordée aux Yougo-Slaves : c’est à quoi les Italiens sont encore le plus sensibles. Ils ne tolèrent pas d’être mis par leurs alliés, dans le règlement adriatique, en balance avec les Yougo-Slaves. Déjà, avant l’ouverture des négociations, une interview accordée par M. Clemenceau, dans une bonne intention, au regretté Raimondo, n’a pas eu l’heur de plaire en Italie, parce que, contenant des conseils d’équité, elle a paru aux Italiens les placer sur le même plan que leurs compétiteurs. L’équité, selon eux, se satisfaisait à meilleur compte envers une nation dont les deux tiers avaient combattu jusqu’au dernier moment dans les rangs de l’ennemi qu’envers des alliés comme eux. Cette différence fondamentale, établie entre, eux et les Yougo-Slaves, cette tare originelle, imputée par eux aux Croates et aux Slovènes, les empêchent de discerner qu’en fait la préférence est donnée à eux-mêmes.