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populaire, comme la libération des frères de Fiume et de Dalmatie ; elle a conçu une haute idée de ce qui était dû à l’Italie ; elle est devenue plus regardante aux garanties de sécurité pour le royaume, plus sensible aux rappels de grandeur passée, plus fière d’une gloire toute fraîche, plus ambitieuse pour les destinées de la patrie. Par-là, elle s’est trouvée dans un état de réceptivité exceptionnelle aux émotions, prédisposée à répondre à des excitations parties d’Italie, à réagir contre des oppositions venant de l’étranger. À cette heure de l’histoire, où l’optimisme a été pardonnable à des vainqueurs, la foule simpliste a considéré que la victoire était assez complète pour permettre la réalisation intégrale des aspirations nationales et pour la justifier. Au-delà de Trente et de Trieste, occupées le même jour, le sentiment public a suivi les troupes en marche, les vaisseaux en route, vers des cités, des côtes, des îles où se trouvaient aussi des agglomérations italiennes, vers la Dalmatie, vers Fiume.

La haute Adriatique est ainsi devenue le point de mire italien, sur son rivage et sur son archipel ; ils ont concentré leur attention et leur susceptibilité. Une première expérience en a été faite quand, à la veille de l’armistice, la flotte austro-hongroise de Pola a arboré le pavillon yougo-slave. Cet événement ne pouvait porter aucun effet juridique : une force navale ennemie ne se soustrait pas, après quatre ans de guerre, à la saisie des vainqueurs dont elle est le gage, en se rangeant sous les couleurs d’une nationalité nouvelle. Y eut-il alors, dans les marines ou dans les gouvernements alliés, une hésitation sur la nullité de cette naturalisation in extremis ? Pas que nous sachions. Le Conseil Suprême, en arrêtant les conditions d’armistice, a traité l’escadre austro-hongroise en force ennemie. Mais il a suffi de quelques expressions de satisfaction, émanant de Français et d’Anglais, heureux de voir la flotte de Pola amener le pavillon impérial et royal, pour mettre les Italiens sur leurs gardes et leur faire craindre de se voir frustrés.

Les clauses militaires et navales de l’armistice avec l’Autriche-Hongrie leur ont donné toute satisfaction, et sur terre et sur mer. C’était naturel ; cela leur a toutefois paru si naturel qu’ils n’en ont pas fait grand cas. Les Alliés ont ensuite, par la manière dont ils ont appliqué les clauses navales, fait preuve d’amitié envers l’Italie, par exemple en la laissant arborer seule son pavillon à Pola et prendre seule en consigne les vaisseaux