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Yougo-Slaves, dont il se défiait : il doutait de la possibilité d’apaiser leur antipathie, à moins de leur céder beaucoup, plus que n’étaient disposés à leur sacrifier les prosélytes mêmes d’un arrangement avec eux ; il les soupçonnait de ne vouloir lui soutirer une renonciation à la Dalmatie que pour lui contester ensuite l’Istrie et Trieste. Pour ces raisons, M. Sonnino préférait ne pas compromettre le ministre des Affaires étrangères dans les manifestations d’une orientation politique nouvelle, divergente de celle qu’avait tracée la Convention de Londres.

Pour pouvoir être appliqué, du consentement mutuel des deux peuples italien et yougo-slave, au règlement de la question adriatique, l’esprit du pacte de Rome aurait dû commencer par l’être à leurs rapports pendant la guerre. La liquidation amiable, prévue par le pacte, des questions territoriales qui les divisaient, aurait dû être précédée par la réalisation pratique de cette « union morale, » que proclamait aussi le pacte. C’était une condition sine qua non. Elle n’a pas été remplie. L’Italie et la Serbie, officiellement alliées, le sont restées ; l’Italie et la Yougo-Slavie ne le sont pas devenues. Entre les Italiens d’une part, les Croates et Slovènes d’autre part, il ne s’est pas créé ce courant de sympathie qui s’était établi, par-delà le front, entre le bloc de l’Entente, Italie comprise, et d’autres nations opprimées, Polonais et Tchéco-Slovaques, et qui existait entre les alliés de l’Italie et les Yougo-Slaves. A l’état matériel d’hostilité a correspondu, jusqu’à la fin de la guerre, un état moral d’inimitié entre les Italiens et les deux tiers de la nation yougoslave, les Croates et Slovènes. Chacune des deux parties en rejette sur l’autre la responsabilité. Les Italiens disent aux Croates et Slovènes : « Vous avez été nos ennemis les plus acharnés, les meilleurs soldats de l’Autriche-Hongrie. Vous avez combattu contre nous, de bon cœur, tant qu’il y a eu une armée austro-hongroise. Vous n’avez posé les armes qu’on même temps que les Autrichiens et les Hongrois eux-mêmes. Vous n’avez jamais déserté sur notre front, comme vous le faisiez sur le front serbe ou sur le front russe. Vous ne vous êtes séparés de l’Autriche-Hongrie qu’in extremis, lorsqu’elle a été à terre et en morceaux. A l’intérieur même de la monarchie, votre action n’a jamais eu le caractère nettement séparatiste de celle des Tchéco-Slovaques, par exemple, et vous vous êtes, en réalité, réservé de choisir entre le trialisme et