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en est de même ordre, et aussi, çà et là, dans presque toutes ses pièces. Ses jeunes filles, quoi qu’on en ait dit, sont artificielles ou indécises. « Elles ne sont ni poésie, ni prose, elles tiennent de la pensionnaire et de la précieuse : vrais anges de salon qui jouent de l’aile comme de l’éventail[1]. » Plusieurs acceptent assez facilement le mariage sans amour. La Clémence des Effrontés est prête à donner sa main à Vernouillet, comme à Balardier la Caliste de Ceinture dorée.

Il semble qu’Augier ait un peu parlé pour soi dans les Méprises de l’amour, lorsqu’il fait dire à un de ses personnages :

Je fus dans tous les temps gauche à parler d’amour
Et des choses du cœur je ne sais pas le tour.

En effet, s’il reproche aux courtisanes de dissocier la famille, il ne montre que bien rarement le mal qu’elles font en brisant des cœurs. Il est bien peu de véritables amoureuses dans tout son théâtre, et celles qu’on y voit sont montrées non pour elles-mêmes, mais surtout comme « réactifs » ou par concession au goût du public qui, paraît-il, exige, dans toute pièce de théâtre, une histoire passionnelle.

Dans Paul Forestier, cependant, le sujet principal est là, mais Augier ne s’y meut qu’avec un certain embarras, avec quelque gaucherie, non sans quelques erreurs ; il donne l’impression d’un voyageur parcourant, le guide à la main, un pays qu’il ne connaît pas, sur la foi des descriptions qui lui en ont été faites. Et il s’y égare si bien, du reste, que dans cette pièce où sa volonté est de défendre le foyer conjugal, le personnage sympathique est Léa qui fut adultère, et plus. Il y a, il est vrai, Antoinette Poirier, mais elle est l’épouse et non pas l’amoureuse.

Moraliste incomplet, disions-nous : sa conception de la morale, en ce qui concerne la vie d’avant-mariage des jeunes gens, est pour étonner un peu tristement ceux qui ont pour lui un grand respect et une forte admiration, une affection même. De juger leurs pères, il donne aux jeunes hommes tous les droits. Il leur permet toutes les intransigeances, lorsqu’il s’agit d’évaluer-la légitimité d’une fortune. Trois d’entre eux obligeront les banquiers dont ils sont les fils à rembourser tout ou

  1. Paul de Saint-Victor.