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et pas assez de cultivateurs, de commerçants et d’ouvriers.

L’instruction l’a rendu ambitieux et, comme son désordre l’a empêché de réaliser ses rêves, il est devenu aigri, envieux ; il a pris pour des injustices les échecs, logiques de sa vie désorbitée. Il est venu à la démocratie par une mauvaise voie, celle de l’envie, au lieu d’y arriver par la générosité. Giboyer parle du peuple sans le connaître, sans l’aimer, et, par conséquent, il en parle mal. Il n’est plus du peuple et n’est pas de la bourgeoisie. Il a toutes les tares des métis. Il est sans conscience, sans probité, il se vante de ses vices, et cache, sous une incessante ironie la bassesse de ses pensées. Il croit que l’honneur coûte cher ; il se trompe ; on l’a pour rien lorsqu’on se contente du rôle qu’on peut remplir. Il y a plus de dignité à faire le métier de concierge, si on le fait de son mieux, qu’à être un insulteur à gages, même avec beaucoup de talent. Il a tout appris, sauf le devoir et même la probité. Il est le témoignage du mal que peut apporter une forte instruction dans un être faible, indigne de la recevoir parce qu’incapable de la mettre au service d’un idéal.

Sans doute, il a bien aimé son père, et il aime son fils. Qu’il ait aimé son père, c’est une vertu qu’il partage avec des millions d’êtres qui ne songent pas à s’en glorifier. Quant à son fils, il reste à savoir si l’affection qu’il lui a vouée ne sera pas néfaste à ce jeune homme dont le caractère est si peu accusé que ses opinions sont modifiées en vingt-quatre heures par la simple lecture d’un discours. Ce fils, Maximilien, est trois fois docteur, les circonstances lui font faire un mariage riche, il devient bourgeois : on peut craindre qu’il ne soit pas plus tard, l’honneur de la bourgeoisie, de même que la démocratie aurait tort de compter sur son dévouement et même sur la fixité de ses convictions.

Animé d’une vie moins intense que ne l’est Giboyer, le marquis d’Auberive qu’Emile Augier a placé de l’autre côté de M. Maréchal est cependant un personnage qui s’accroche dans la mémoire et retient l’attention. Il est l’aristocrate survivant à l’aristocratie, un demi-solde de la noblesse. Il n’a plus de raison d’être et veut être, cependant, sans s’adapter. Comme Giboyer, il dénaturera les causes de ses sentiments. Son inutilité lui restera incompréhensible, et il rejettera sur d’autres les responsabilités de sa déchéance. Il est un émigré à l’intérieur.