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la création d’une nouvelle aristocratie, fondée sur l’intelligence.

Telles étaient les préoccupations sociales et tel l’état d’esprit d’Emile Augier au moment où il crut avoir terminé sa campagne contre l’amant et la courtisane. Son horizon s’élargit ; il va consacrer quatre pièces importantes à l’étude des mœurs nouvelles.

Il ne lui suffit pas d’avoir défendu la bourgeoisie contre ses ennemis ; il va la défendre contre elle-même et lui présenter, dans les Effrontés, un miroir où elle n’apparaitra pas en beauté. Elle apprendra comment elle court à sa ruine morale, si elle continue à être lâche devant l’audace des malhonnêtes gens et plus particulièrement en face de la puissance nouvelle : la complicité de la presse et de l’argent.

Charrier est un personnage considérable et considéré. Banquier, il possède une clientèle aristocratique et il est maire, à Paris, de son arrondissement. Il a un fils qui, — ainsi que presque tous les fils des bourgeois d’Augier, — fait à son père des lettres de change. Il est père aussi d’une fille en âge d’être mariée. Son honnêteté est au-dessus de toute discussion. Elle ne le fut pas toujours, et, comme le Roussel de Ceinture dorée, il eut, il y a quinze ans, un procès fâcheux dont le verdict était un acquittement et les considérants une condamnation.

Il est l’Effronté d’hier qui, grâce à son impudence, grâce surtout à la veulerie de ses contemporains, peut se croire un homme honorable à l’abri de tout reproche. Il se trompe, et Vernouillet le lui fera bien voir. Vernouillet, c’est Charrier au moment de la crise. Il vient d’avoir, lui aussi, à comparaître devant les tribunaux, et, de même que, Charrier, il s’en est tiré à bon compte : sa réputation est perdue, sa liberté ne le fut pas. Nous le voyons d’abord traînant l’aile et tirant le pied, tête basse et songeant à s’expatrier. Mais il a une idée de génie, celle de mettre à son service la puissance de la presse. Le marquis d’Auberive, qui se délecte au spectacle des vilenies de la bourgeoisie jusqu’à les provoquer, a fort peu à faire pour le décider à relever la tête et à s’imposer. « Nos pères n’avaient perdu que le respect, dira Sergine ; nous avons, nous, perdu le mépris : le monde est aux Effrontés. » Vernouillet, par conséquent, réussira presque à surprendre la confiance d’un minière,