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Après le coup d’Etat, les menaces d’avertissement, de saisie, d’emprisonnement, rendirent le talent obligatoire chez les journalistes qui s’ingéniaient à tout faire entendre et non à tout crier. Le Journal des Débats garde sa tenue, avec sa rédaction d’universitaires. Le Siècle et l’Univers vivent des combats qu’ils se livrent. L’exemple du Figaro, frondeur, mais toléré, provoque l’éclosion de petites feuilles éphémères où chacun signe ses articles. Le rédacteur en chef, dès lors devenu bientôt inutile en tant qu’écrivain, est remplacé par quelque capitaliste, quelque entrepreneur frotté ou non de littérature. C’est ainsi, par exemple, qu’au Siècle, Havin succède à Armand Carrel.

Dès le moment où les financiers eurent compris quel concours pouvait leur apporter la presse, et la presse les subsides qu’elle pouvait tirer de la finance, la plus forte puissance était créée, et d’autant plus forte qu’aucune autre n’était prête à lui servir de contrepoids. L’aristocratie se réservait, boudeuse ou vindicative. En 1852, le Comte de Chambord avait prescrit aux royalistes l’abandon de toutes les charges publiques exigeant le serment, et toutes l’exigeaient. D’autre part, la politique de Napoléon III contre le Pape et le clergé, à propos du Syllabus, éveilla des divisions nouvelles et provoqua des alliances inattendues entre l’aristocratie, les cléricaux et les « rouges. » D’où un grand trouble, un désordre des idées, des inquiétudes. En même temps, le traité de commerce avec l’Angleterre (1860) provoquait des chômages et des abaissements de salaires. Les répercussions du mouvement ouvrier de 1848 agissaient sourdement. Les théories saint-simoniennes redevenaient à la mode. Les meilleurs esprits cherchaient l’amélioration du sort « de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. » Emile Augier crut pouvoir trouver le remède à cette situation par une organisation meilleure du suffrage universel ; il écrivit une brochure politique : La Question électorale, et même, plus tard, fut inscrit sur une liste de futurs sénateurs.

« On sait qu’Emile Augier était reçu avec beaucoup de bienveillance par l’Empereur, mais on ignore généralement que de ces rapports était résultée entre le poète et le souverain une véritable collaboration dans le domaine politique. Augier poussait vers les solutions libérales et démocratiques[1]. » Il rêvait

  1. M. de Freycinet. Discours à l’Académie française. Eloge d’Emile Augier.