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façade de probité, de tendresse même. Il y a là le drame qui se passe tous les jours autour de nous, celui des flammes de la jeunesse éteintes par les cendres de l’ « expérience, » de cette fameuse expérience qui n’est trop souvent que le souvenir humilié de nos propres défaites. Notre orgueil nous fait croire que nos enfants ne réussiront pas là où nous avons échoué, et parce que nous avons été moins forts que la vie, nous leur infusons la peur de la vie, et nous risquons d’en faire des vaincus avant la bataille. « Nul n’est vaincu sans que son courage n’ait été vaincu avant lui, » a dit saint Paul. Des parents comme Mme Huguet abattent l’énergie de leur fils en lui enseignant que ses propres forces sont insuffisantes, en lui faisant espérer par un mariage riche un bien-être qu’il n’aura pas gagné.

Ce mariage riche, d’ailleurs, assure-t-il la quiétude et la joie ? Augier s’est posé ce problème en écrivant Un beau mariage. Sa réponse est celle-ci : « Oui, vous pouvez être heureux en devenant l’époux d’une somptueuse héritière, mais à la condition d’abord que votre femme soit un noble cœur, à la condition encore que vous soyez un savant de génie et que votre femme arrive juste au moment où vous exposerez votre vie dans une expérience scientifique dangereuse dont elle connaîtra la valeur et le danger. » Un beau mariage pourrait en effet s’appeler le Gendre de Madame Poirier. Il s’agit d’un jeune savant pauvre qui s’éprend d’une jeune fille riche et l’épouse. Dans sa nouvelle famille, il est un peu considéré comme un subalterne : Mme Poirier entend régler sa vie et lui demande, elle aussi, de prendre une occupation. On dispose de lui, on le néglige, on le blesse, on l’humilie. « J’ai épousé une femme riche, pourra-t-il dire, je ne m’appartiens plus, j’appartiens à sa fortune. » En dépit de ces intentions, la pièce, mal venue, serait tombée dans l’oubli, si elle ne se terminait par un quatrième acte d’une émotion puissante et nouvelle. Sans doute, et tous les critiques du temps l’ont remarqué, cette émotion est presque physique. Nous assistons en effet à une expérience scientifique qui peut causer la mort des deux opérateurs et dont l’objet est la liquéfaction de l’acide carbonique. Augier dresse sur la scène un nouveau type de héros, le savant :

MICHEL. — Elle est déjà longue la liste des soldats de la science morts au champs d’honneur ! Gehlen empoisonné par le gaz hydrogène arseniqué ; Boullay, brûlé par la vapeur d’éther ; Hennel,