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gêne. Dans la misère, dit-elle, car c’est la misère, celle qui, sous peine d’être une déchéance,


Doit rogner sur son pain pour nourrir l’apparence.


Si le salon était encore cossu, et aussi les toilettes de sortie, l’appartement intime était froid et les robes d’intérieur lamentables. Et si bien, ou si mal, qu’un soir, le mari, regardant sa femme en négligé, lui dit : « Prends donc plus soin de toi : tu vieillis. » Ce fut sa seule plainte. Elle suffit à Mme Huguet pour se considérer au comble du malheur. Sou mari mort, elle se dévoua à ses enfants, réussit à bien élever sa fille, même à la marier et à faire de son fils un avocat. Mais elle était vaniteuse et ne comprenait pas le bonheur sans les relations mondaines, sans le plaisir de faire envie. Elle copie, pour elle, les chapeaux qu’elle n’a pas le moyen d’acheter ; elle tente d’affubler son nom roturier d’une particule, le joignant à un nom de terre. Elle, ne réfléchit pas que ce qu’elle appelle son malheur est un malheur imaginaire, elle ne pense pas qu’elle l’a créé elle-même par ses prétentions et sa sottise, et comme elle adore ses enfants, rien ne lui coûtera pour leur assurer « une situation. » La fille a épousé un bon garçon qui s’est enrichi, mais à qui Mme Huguet n’en sait aucun gré, car il n’a pas une fortune considérable et éblouissante. Il est provincial, c’est un monsieur qui n’est bon qu’à cultiver la terre.

Le fils, Philippe Huguet, a été l’objet de tous ses soins. Lui, au moins, ne commettra pas la faute de se marier par amour. Sa mère a travaillé, de toute son autorité maternelle, à étouffer en lui toutes les joies de l’idéal. Aujourd’hui, il a vingt-huit ans, il est avocat, mais ne trouve pas une cause à plaider. Il s’en irrite. Il décide donc de supprimer en soi ce qu’il peut y rester de noblesse et de fierté, il va se pousser et « ramper s’il le faut, »


Quitte à se redresser en arrivant en haut,


Il se donne même la plus effroyable des excuses, la plus malfaisante : « Je fais comme les autres ! » Mais Mme Huguet n’a pu être la seule éducatrice de son fils, et malgré elle, le jeune homme aime sa petite cousine. Sans doute, il s’est bien gardé d’en rien dire, ni à la jeune fille, afin de ne pas s’engager trop tôt, ni à sa mère, qui en étoufferait de colère et d’indignation, il