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que, s’était donné l’État français. Tous ces grands préfets napoléoniens fournissaient à la bonne volonté du cœur charitable rhénan l’appoint de l’autorité publique, un cadre, des subventions, de bonnes finances, et ce ne sera pas dans la ligne de conduite des fonctionnaires que le roi de Prusse vient d’amener de Brandebourg et de Poméranie.

On le voit tout net dès cette terrible année 1817, où la disette affame le pays. Plus de Lezay-Marnesia, plus de Jean Bon Saint-André. Eh bien ! les villes du Rhin feront de leur mieux, et le feront à la manière française. Comment un Joseph Goerres qui, hier, fulminait si furieusement contre la présence des Français, accepterait-il de s’abstenir où ceux-ci eussent agi ? Comment se résoudrait-il à ne pouvoir pas remplacer ce qu’il a si puissamment contribué à détruire ? A la manière d’un préfet impérial, bien qu’il ne soit qu’un simple particulier, il prend l’initiative de constituer un comité de secours avec deux prêtres de Coblence, Albrecht et Milz, et rédige des appels. Vous pouvez les lire au tome III de ses Œuvres complètes. Et dans le cinquième de ces appels, nul doute que vous ne distinguiez avec plaisir cette phrase : « Trêves, une ville célèbre dans tous les pays du Rhin pour ses institutions de charité modèle. » C’est un hommage véridique à ces Français qu’il déteste. Les Français n’ont pu tout faire pour les œuvres de charité sur le Rhin, mais du moins ils ont créé dans Trêves un modèle que Goerres ne perd pas de vue. Comment suppléera-t-il aux ressources que les administrateurs prussiens ne lui donnent pas ? Une personne charitable de Neuwied lui apporte quelque argent avec lequel il organise une loterie…

Voulez-vous entendre la liste des lots ? Elle aide a comprendre dans quelle atmosphère de petite ville et dans quelle innocence de vie tout cela se passa. « Vingt carolins d’or, un télescope anglais, une montre en or, un microscope de Nuremberg, un vieux pistolet, une balance pour le grain, une tête de pipe, un pot à tabac en étain, une barbe d’Indien de l’Amérique du Nord, des anneaux d’argent pour les oreilles et pour le nez, deux paires de souliers, une ceinture, une blague à tabac, un coquillage géant de la Mer Morte, une molaire de mammouth, dont on offrit neuf guinées en Angleterre… » Je crois regarder avec émerveillement ces curiosités bien exposées à la vitrine de quelque commerçant de la grand rue.