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Très rouge, les yeux gonflés, suffoquant d’émotion, il remet solennellement à Sazonow une déclaration de guerre, qui se termine par cette phrase théâtrale et mensongère : Sa Majesté l’Empereur, mon auguste souverain, au nom de l’Empire, relève le défi et se considère en état de guerre avec la Russie.

Sazonow lui répond :

— Vous faites là une politique criminelle. La malédiction des peuples retombera sur vous.

Puis, lisant à voix haute la déclaration de guerre, il est stupéfait d’y voir, entre parenthèses, deux variantes qui sont d’ailleurs d’une minime importance. Ainsi, après les mots : La Russie ayant refusé de faire droit à… il y a : (n’ayant pas cru devoir répondre à…) Et, plus loin, après les mots : La Russie ayant manifesté par ce refus… il y a : (par cette attitude…) Il est probable que ces variantes avaient été indiquées de Berlin et que, soit inadvertance, soit précipitation du copiste, elles ont été l’une et l’autre insérées dans le texte officiel.

Pourtalès est si atterré qu’il ne réussit pas à expliquer cette bizarrerie de forme, qui entache de ridicule in æternum le document historique d’où vont sortir tant de maux. La lecture finie, Sazonow répète :

— Vous faites là un acte criminel !

— Nous défendons notre honneur !

— Votre honneur n’était pas en jeu. Vous pouviez, d’un mot, conjurer la guerre : vous ne l’avez pas voulu. Dans tout ce que j’ai tenté pour sauver la paix, je n’ai pas trouvé en vous le moindre concours. Mais il y a une justice divine !

Pourtalès reprend, d’une voix sourde, avec un regard éperdu :

— C’est vrai… Il y a une justice divine… Une justice divine !

Il marmonne encore quelques mots incompréhensibles, et, tout vacillant, il se dirige vers la fenêtre qui est à droite de la porte d’entrée, en face du Palais d’hiver. Là, il s’appuie au chambranle et, soudain, il éclate en sanglots.

Sazonow essaie de le calmer, lui tape dans le dos. Pourtalès balbutie :

— Voilà donc le résultat de ma mission !

Enfin, brusquement, il se jette vers la porte, qu’il a peine