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elle ne cherche plus qu’à gagner du temps pour achever en secret ses préparatifs d’offensive. Dans ces conditions, je ne crois pas que Votre Majesté puisse différer davantage à ordonner la mobilisation générale.

Très pâle et la gorge étreinte, l’Empereur lui répond :

— Songez à la responsabilité que vous me conseillez de prendre ! Songez qu’il s’agit d’envoyer des milliers et des milliers d’hommes à la mort !

Sazonow reprend :

— Ni la conscience de Votre Majesté ni la mienne n’auront rien à se reprocher, si la guerre éclate. Votre Majesté et son Gouvernement auront fait tout le possible pour épargner au monde cette effroyable épreuve… Mais aujourd’hui, j’ai la conviction que la diplomatie a fini son œuvre. Il faut penser désormais à la sûreté de l’Empire. Si Votre Majesté arrête nos préliminaires de mobilisation, Elle n’aura réussi qu’à disloquer notre organisation militaire et à déconcerter nos alliés. La guerre n’en éclatera pas moins, à l’heure voulue par l’Allemagne, et nous surprendra en plein désarroi.

Après un instant de recueillement, l’Empereur prononce, d’un ton ferme :

— Serge-Dimitriéwitch, allez téléphoner au chef d’État-major que j’ordonne la mobilisation générale.

Sazonow descend au vestibule du palais, où se trouve la cabine téléphonique et transmet au général Yanouchkéwitch l’ordre impérial.

La pendule marque exactement quatre heures.

Le cuirassé la France, qui portait le Président de la République et le Président du Conseil, est arrivé hier à Dunkerque, après avoir brûlé les escales prévues à Copenhague et à Christiania.

A six heures, je reçois un télégramme, expédié de Paris ce matin et signé de Viviani. Après avoir affirmé une fois de plus les desseins pacifiques du gouvernement français et renouvelé ses conseils de prudence au gouvernement russe, Viviani ajoute : La France est résolue à remplir toutes les obligations de l’Alliance. Je vais le déclarer à Sazonow, qui me répond, très simplement :

— J’étais sûr de la France.