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— Presque… Hier encore, Pourtalès affirmait au ministre des Pays-Bas et au chargé d’Affaires de Belgique que la Russie capitulerait et que ce serait un triomphe pour la Triple-Alliance. Je le sais de la meilleure source.

Sazonow fait un geste d’accablement et demeure silencieux. Je reprends :

— Du côté de Berlin et de Vienne, le sort est jeté. Maintenant, c’est à Londres surtout que vous devez penser. Je vous supplie de ne prendre aucune mesure militaire sur le front allemand et d’être même très circonspect sur le front autrichien, tant que l’Allemagne n’a pas dévoilé son jeu. La moindre imprudence de votre part nous coûterait le concours de l’Angleterre.

— C’est aussi mon avis ; mais notre État-major s’impatiente et j’ai déjà grand peine à le retenir.

Ces derniers mots m’inquiètent ; une idée me vient :

— Si grave que soit le danger, si faibles que soient encore les chances de salut, nous devons, vous et moi, tenter jusqu’à l’impossible pour sauver la paix. Je vous prie de considérer que je suis, moi, dans une position sans précédent pour un ambassadeur. Le chef de l’État et le chef du Gouvernement sont en mer ; je ne peux correspondre avec eux que par intermittence et de la façon la plus incertaine ; d’ailleurs, comme ils ne connaissent qu’imparfaitement la situation, ils ne peuvent m’envoyer aucune instruction. A Paris, le ministère est décapité ; sa correspondance avec le Président de la République et le Président du Conseil n’est pas moins irrégulière et défectueuse que la mienne. Ma responsabilité est donc énorme. C’est pourquoi je vous demande de vous engager, dès maintenant, à accepter toutes les procédures que la France et l’Angleterre vous proposeront pour sauvegarder la paix.

— Mais c’est impossible !… Comment voulez-vous que j’accepte d’avance des procédures dont je ne connais ni l’objet, ni les conditions ?

— Je viens de vous dire que nous devons tenter jusqu’à l’impossible pour conjurer la guerre. J’insiste donc sur ma demande.

Après une courte hésitation, il me répond :

— Eh bien ! oui, j’accepte.

— Je considère votre engagement comme officiel et je vais le télégraphier à Paris.