Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Puis, article par article, il a relu le texte de l’ultimatum remis à Belgrade, en faisant ressortir le caractère inadmissible, absurde, injurieux, des principales clauses. Tout cela, dit sur un ton très amical :

— L’intention qui a inspiré ce document est légitime, si vous n’avez eu d’autre but que de protéger votre territoire contre les menées des anarchistes serbes ; mais la forme est indéfendable…

Il a conclu, avec chaleur :

— Reprenez votre ultimatum ; modifiez-en la rédaction et je vous garantis le résultat.

Szapary s’est montré touché, presque persuadé même par ce langage ; il a toutefois réservé l’opinion de son gouvernement.

Sazonow va donc proposer, dès ce soir, à Berchtold, d’ouvrir une conversation directe entre Pétersbourg et Vienne pour concerter les changements à introduire dans l’ultimatum.

Je félicite Sazonow d’avoir si heureusement mené l’entretien. Il me répond :

— Je ne me départirai pas de cette attitude. Jusqu’au dernier instant, je négocierai.

Puis, passant la main devant ses yeux, comme si une vision effrayante lui traversait l’esprit, il me demande, d’une voix qui tremble :

— Sincèrement, de vous à moi, croyez-vous que nous puissions encore sauver la paix ?

— Si nous n’avions affaire qu’à l’Autriche, j’aurais de l’espoir… Mais il y a l’Allemagne ; elle a promis à son alliée un grand succès d’amour-propre ; elle est convaincue que nous n’oserons pas lui tenir tête jusqu’au bout, que la Triple-Entente cédera comme elle a toujours cédé. Or, cette fois, nous ne pouvons plus céder, sous peine de n’exister plus. Nous n’éviterons pas la guerre.

— Ah ! mon cher ambassadeur, c’est affreux de songer à ce qui se prépare.


* * *

Lundi, 27 juillet 1914.

Dans les sphères officielles, la journée a été calme : la diplomatie poursuit méthodiquement son travail de procédure.

Accablé de télégrammes et de visites, l’esprit obsédé, je vais