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instant à l’autre. Et cette perspective doit dominer toute notre action diplomatique.

Buchanan suppose que son gouvernement voudra rester neutre ; il craint dès lors que la France et la Russie ne soient écrasées par la Triple-Alliance.

Sazonow lui objecte :

— Dans les conjonctures actuelles, la neutralité de l’Angleterre équivaudrait à son suicide !

— Vous ne connaissez pas nos gouvernants actuels, réplique tristement Sir George… Ah ! si le parti conservateur était au pouvoir, je suis certain qu’il comprendrait ce que l’intérêt national nous commande avec tant d’évidence.

J’insiste sur le rôle décisif que l’Angleterre peut jouer pour éteindre les ardeurs belliqueuses de l’Allemagne ; j’invoque l’opinion que l’empereur Nicolas m’exprimait il y a quatre jours : « A moins d’avoir perdu complètement la raison, l’Allemagne n’osera jamais attaquer la Russie, la France et l’Angleterre réunies. » Il est donc urgent que le gouvernement britannique se déclare en faveur de notre cause, qui est la cause de la paix. Sazonow parle avec chaleur dans le même sens.

Buchanan nous promet d’appuyer énergiquement, auprès de Sir Edward Grey, la politique de résistance aux prétentions germaniques.

A trois heures, Sazonow nous quitte pour se rendre à l’Ile Iélaguine, où le président du Conseil Gorémykine a convoqué les ministres.

A huit heures du soir, je vais au ministère des Affaires étrangères, où Sazonow est en conférence avec mon collègue d’Allemagne.

Après quelques minutes, je vois sortir Pourtalès, le visage congestionné, l’œil fulgurant. La discussion a dû être chaude. Il me serre évasivement la main, tandis que j’entre dans le cabinet du ministre.

Sazonow est encore tout frémissant de la controverse qu’il vient de soutenir ; il a les gestes nerveux, la voix sèche et saccadée.

— Eh bien ! lui dis-je, que s’est-il passé ?

— Comme je le prévoyais, l’Allemagne soutient à fond la cause autrichienne. Pas le moindre mot de conciliation. Aussi,