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— Vous êtes toujours inquiet ?

— Oui, Sire.

— Vous avez des motifs nouveaux d’inquiétude ?

— J’en ai au moins un, — le retour inopiné de mon collègue Szapary et la réserve froide, hostile, dans laquelle il s’est enfermé avant-hier devant M. le Président de la République… L’Allemagne et l’Autriche nous préparent un éclat.

— Que peuvent-elles vouloir ?… Se procurer un succès diplomatique aux dépens de la Serbie ?… Infliger un échec à la Triple-Entente ?… Non, non… malgré toutes les apparences, l’empereur Guillaume est trop prudent pour lancer son pays dans une folle aventure. Et l’empereur François-Joseph ne demande plus qu’à mourir en paix.

Durant une minute, il reste silencieux, rêveur, comme s’il suivait une idée confuse. Puis il se lève et fait quelques pas sur le pont.

Autour de nous, les Grands-Ducs, debout, guettent l’instant où ils pourront enfin s’approcher du Maître, qui leur dispense parcimonieusement quelques paroles banales. Il les appelle, l’un après l’autre, et semble leur témoigner à tous un entier abandon, une affectueuse familiarité, comme pour leur faire oublier la distance où il les tient d’habitude et la règle qu’il s’est imposée de ne jamais leur parler politique.

Le Grand-Duc Nicolas-Nicolaïéwitch, le Grand-Duc Nicolas-Michaïlowitch, le Grand-Duc Paul-Alexandrowitch, la Grande-Duchesse Marie Pavlowna m’entourent, se félicitant et me félicitant de ce que la visite présidentielle ait si parfaitement réussi. En style de cour, cela signifie que le monarque est satisfait.

Cependant, les Grandes-Duchesses Anastasie et Militza, « les deux Monténégrines, » me prennent à part :

— Oh ! Ce toast du Président, voilà ce qu’il fallait dire, voilà ce que nous attendions depuis si longtemps ! La paix, dans la force, l’honneur et la dignité ! Rappelez-vous bien ces paroles, monsieur l’Ambassadeur ; elles marqueront une date dans l’histoire du monde…

A minuit trois quarts, l’Alexandria mouille dans le havre de Péterhof.

Après m’être séparé de l’Empereur et de l’Impératrice, je passe à bord du yacht d’escorte, la Strela, qui me ramène à