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armes ; des commandements brefs retentissent ; la chaloupe de l’Alexandria accoste la France. Aux sons de l’Hymne russe et de la Marseillaise, on échange les compliments d’adieu : l’Empereur témoigne une grande cordialité au Président de la République. Je prends moi-même congé de Poincaré, qui me donne affectueusement rendez-vous à Paris dans quinze jours. Comme je salue l’Empereur au seuil de la coupée, il me dit :

— Monsieur l’Ambassadeur, venez avec moi, je vous prie. Nous pourrons parler tout à l’aise sur mon yacht. Et l’on vous reconduira ensuite à Pétersbourg.

De la France nous transbordons sur l’Alexandria. La famille impériale accompagne seule Leurs Majestés. Les ministres, les dignitaires, les États-majors et mon personnel rentrent directement à Pétersbourg sur un yacht de l’Amirauté.

La nuit est splendide. La Voie Lactée se déroule, éclatante et pure, dans l’éther infini. Pas un souffle de vent. La France et sa division d’escorte s’éloignent rapidement vers l’Ouest, déroulant derrière elles de longs rubans écumeux qui scintillent sous la lune comme des ruisseaux d’argent.

Quand toute la suite impériale est à bord, l’amiral Nilow vient prendre les ordres de l’Empereur, qui me dit :

— Cette nuit est magnifique. Si nous faisions un tour en mer ?…

L’Alexandria se dirige vers la côte de Finlande.

M’ayant fait asseoir auprès de lui, à l’arrière du yacht, l’Empereur me raconte l’entretien qu’il vient d’avoir avec Poincaré :

— Je suis enchanté de ma conversation avec le Président ; nous nous sommes accordés à merveille. Je ne suis pas moins pacifique que lui et il n’est pas moins résolu que moi à faire tout ce qu’il faudra pour ne pas laisser compromettre la paix. Il redoute une manœuvre austro-allemande contre la Serbie et il pense que nous devrons y répondre par un intime et solide accord de nos diplomaties. Je le pense également. Nous devrons nous montrer aussi fermes qu’unis dans la recherche des transactions possibles et des accommodements nécessaires. Plus la situation sera difficile, plus nous devrons être unis et fermes.

— Cette politique me paraît la sagesse même… Je crains que nous n’ayons à l’appliquer avant peu.