Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les manifestations violentes ont continué aujourd’hui dans les quartiers industriels de Pétersbourg. Le préfet de police m’a assuré, ce soir, que le mouvement est enrayé, et que le travail reprendra demain. Il m’a confirmé enfin que, parmi les meneurs arrêtés, on a identifié plusieurs agents notoires de l’espionnage allemand. Au point de vue de l’Alliance, l’incident est à méditer.


Mercredi, 22 juillet 1914.

A midi, l’Empereur offre un déjeuner au Président de la République et aux officiers de l’escadre française, dans le palais de Péterhof. L’Impératrice ni aucune dame ne sont présentes. Le service est fait par petites tables de dix à douze convives. Au dehors, la chaleur est forte ; mais, par les fenêtres ouvertes, les ombrages et les grandes eaux du parc nous envoient des souffles de fraîcheur.

Je prends place à la table de l’Empereur et du Président, avec Viviani, l’amiral Le Bris, commandant l’escadre française, Gorémykine, président du Conseil, le comte Fréedéricksz, ministre de la Cour ; enfin, Sazonow et Iswolsky.

Je suis à la gauche de Viviani, qui a le comte Fréedéricksz à sa droite.

Le comte Fréedéricksz, qui aura bientôt soixante-dix-sept ans, personnifie éminemment la vie de cour. De tous les sujets du Tsar, c’est celui qui accumule sur sa tête le plus d’honneurs et de titres. Il est ministre de la Cour impériale et des Apanages, aide de camp général de l’Empereur, général de cavalerie, membre du Conseil de l’Empire, chancelier des Ordres impériaux, commandant en chef du Cabinet de Sa Majesté et de la maison militaire impériale, etc. Toute sa longue existence s’est écoulée dans les palais et les cérémonies, dans les cortèges et les carrosses, sous les broderies et les chamarrures. Par sa fonction, il prime les plus hauts dignitaires de l’Empire et il est initié à tous les secrets de la famille impériale. Il dispense, au nom de l’Empereur, toutes les grâces et toutes les donations, toutes les réprimandes et tous les châtiments. Les grands-ducs et les grandes-duchesses le comblent d’attentions, car c’est lui qui régit leurs apanages, qui étouffe leurs scandales, qui paie leurs dettes. Si difficile que soit sa tâche, on ne