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Quand nous nous retrouvons seuls tous les trois, Poincaré nous dit :

— Je n’ai pas bonne impression de cet entretien. L’ambassadeur avait manifestement la consigne de se taire… L’Autriche nous prépare un coup de théâtre. Il faut que Sazonow soit ferme et que nous le soutenions…

Nous passons ensuite dans la salle voisine, où les ministres des États secondaires sont alignés par rang d’ancienneté.

Pressé par le temps, Poincaré passe devant eux à grande allure, en leur serrant la main. Leur déception se lit sur leurs visages. Ils espéraient tous recueillir de lui quelques paroles substantielles et voilées, dont ils auraient fait un long rapport à leurs gouvernements. Il ne s’arrête que devant le ministre de Serbie, Spalaïkowitch, qu’il réconforte par deux ou trois phrases de sympathie.

A six heures, visite de l’hôpital français, où le Président pose la première pierre d’un dispensaire.

A huit heures, dîner de gala à l’ambassade. Quatre-vingt-six couverts. L’hôtel, entièrement remis à neuf, a grand air. Le Garde-meuble national m’a cédé une admirable série de Gobelins, dont le Triomphe de Marc-Antoine et le Triomphe de Mardochée, de Natoire, qui décorent somptueusement la salle, des fêtes. J’ai renouvelé aussi la livrée. Enfin, j’ai fait venir de Paris le fleuriste Lemaître, qui a le goût si ingénieux : toute l’ambassade est tapissée de roses et d’orchidées.

Les invités arrivent, tous plus chamarrés les uns que les autres. Leur désignation m’avait mis l’esprit au supplice, à cause de toutes les concurrences et de toutes les jalousies qu’implique la vie de cour ; la distribution des places à table a été un problème plus difficile encore. Mais je suis si heureusement secondé par mes secrétaires, que le dîner et la soirée se passent à merveille.

Sur le coup d’onze heures, le Président se retire.

Je l’accompagne à l’hôtel de ville, où la Douma de Pétersbourg offre une fête aux officiers de l’escadre française. C’est la première fois qu’un chef d’État étranger honore de sa présence une réception du Conseil municipal. Aussi, l’accueil est-il des plus chaleureux.

A minuit, le Président se rembarque pour Péterhof.