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les sorcières, les chasseurs sauvages et les lutins qui promènent dans les paysages du Rhin leur bonne grâce familière, leurs caractères aimables et touchants !

Nous trouvons des sorcières surtout dans les cycles de la basse vallée du Rhin et de l’Eifel, mais qu’elles ressemblent peu aux sorcières du Brocken ! Celles-ci se livrent à la magie, la nuit, attendent Satan leur compère et nouent sous sa conduite des rondes ordurières et sans grâce. En opposition avec ces personnages dangereux et méchants, les sorcières du Rhin font voir un élément douloureux et humain. Ce sont de malheureuses enfants dont le charme ensorceleur causa la perte. Par exemple, Gertrud Thule, de la petite ville d’Ulmen dans l’Eifel, qui épousa le forgeron Conrad, et celui-ci désespéré d’avoir épousé une sorcière se fait mourir. Pauvres femmes, jadis dénoncées à l’évêque et condamnées à mort pour crime de magie, pitoyables héroïnes, poétisées par la légende, des innombrables procès de sorcellerie qui désolèrent ces régions, au point qu’à Trêves, en six ans, trois-cent soixante-huit personnes furent condamnées à mort pour crime de, sorcellerie et que, dans certains villages de l’Eifel, il ne restait plus deux vivantes.

Le chasseur sauvage parcourt les vallées encaissées de la Nahe. En Rhénanie, comme en-Alsace, les légendaires l’ont vu passer, mais ce n’est pas le personnage des épaisses forêts du Hartz évoqué dans la fameuse Ballade de Burger, cruel, tuant tout sur son passage, possédé par l’ardeur assassine. Le chasseur rhénan n’est qu’un chasseur impie qui chassait un dimanche ; la biche qu’il poursuit va se réfugier chez un ermite, et lui, la foudre le jette à terre. Histoire très simple, tout humaine, propagée autour des couvents pour l’adoucissement des mœurs.

Quant aux lutins qui habitent en foule la montagne palatine et la basse vallée du Rhin, de Coblence à Cologne, quelles charmantes gens et combien différents des gnomes et des kobolds d’outre-Rhin tapis dans les entrailles de la terre et dans les noirs royaumes de Niebelheim ! Ces nains d’outre-Rhin ne sortent de leurs abris que pour troubler les activités humaines, et ne consentent à aider l’effort de l’humanité primitive que contre des rançons ou des gages pénibles, inexécutables. Au contraire, les lutins des villages et des villes de la Rhénanie sont vraiment de petites divinités domestiques. Ils vivent tout effarouchés, transis, maltraités par les hommes qu’ils comblent de leurs