Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impérial hôte, est si intelligente, si vive, si décidée, qu’il impose à tout le monde. Enfin, on s’est vite aperçu que l’Empereur l’écoute avec une attention sérieuse, une attention docile.

Pendant le dîner, j’observe l’impératrice Alexandra-Féodorowna, en face de qui je suis placé. Bien que les longues cérémonies soient pour elle une très pénible épreuve, elle a voulu être là ce soir, afin de faire honneur au Président de la République alliée. La tête constellée de diamants, le torse décolleté dans une robe de brocart blanc, elle est assez belle à voir. Ses quarante-deux ans la laissent encore agréable de visage et de lignes. Dès le premier service, elle se met en frais de conversation avec Poincaré, qui est assis à sa droite. Mais bientôt son sourire se crispe, ses pommettes se marbrent. A chaque instant, elle se mord les lèvres. Et sa respiration haletante fait scintiller le réseau de brillants qui lui couvre la poitrine. Jusqu’à la fin du dîner, qui est long, la pauvre femme lutte visiblement contre l’angoisse hystérique. Ses traits se détendent soudain, lorsque l’Empereur se lève pour prononcer son toast.

La parole impériale est écoutée avec recueillement : mais c’est la réponse surtout qu’on souhaite d’entendre. Au lieu de lire son allocution, comme a fait l’Empereur, Poincaré la récite. Jamais sa diction n’a été plus claire, plus précise, plus mordante. Ce qu’il dit n’est que du fade verbiage de chancellerie ; mais les mots acquièrent dans sa bouche une force de signification et un accent d’autorité remarquables. Sur cette assistance, élevée dans la tradition despotique et dans la discipline des cours, l’effet est sensible. Je suis sûr que, parmi tous ces dignitaires chamarrés, plus d’un pense : « Voilà comment devrait parler un autocrate. »

Après le dîner, l’Empereur tient un cercle. L’empressement avec lequel on se fait présenter à Poincaré me prouve son succès. Même la coterie allemande, le clan ultra-réactionnaire, recherche l’honneur d’approcher le Président.

A onze heures, un cortège se forme. L’Empereur reconduit le Président de la République jusqu’à son appartement.

Là, Poincaré me retient pendant quelques minutes. Nous échangeons nos impressions qui sont excellentes.

Rentré à Pétersbourg par le chemin de fer à minuit trois quarts, j’apprends que, cet après-midi, sans motif, sur un signe parti on ne sait d’où, les principales usines se sont mises en