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I. — VISITE DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE A L’EMPEREUR NICOLAS (20-23 JUILLET 1914)


Lundi, 20 juillet 1914.

Je quitte Saint-Pétersbourg à dix heures du matin sur le yacht de l’Amirauté pour me rendre à Péterhof. Le ministre des Affaires étrangères, Sazonow, l’ambassadeur de Russie en France, Iswolsky, et mon attaché militaire, le général de Laguiche, m’accompagnent, l’Empereur nous ayant invités, tous les quatre, à déjeuner sur son yacht avant d’aller au-devant du Président de la République à Cronstadt. Le personnel de mon ambassade, les ministres russes et les dignitaires de la Cour seront amenés directement par chemin de fer à Péterhof.

Le temps est couvert. Entre les berges plates, notre bateau file à grande vitesse vers le golfe de Finlande. Soudain, la brise fraîche, qui souffle du large, nous apporte une ondée cinglante. Mais, brusquement aussi, le soleil paraît et resplendit. Quelques nuages gris de perle, traversés de rayons, flottent çà et là sur le ciel, comme des écharpes de soie striées d’or, et, dans une clarté limpide, l’estuaire de la Néwa étale à perte de vue ses eaux verdâtres, lourdes, moirées, qui me font penser aux lagunes de Venise.

A onze heures et demie, nous stoppons dans le petit havre de Péterhof, où l’Alexandria, qui est le yacht préféré de l’Empereur, se tient sous pression.

Nicolas II, en tenue d’amiral, arrive presque aussitôt à l’embarcadère. Nous transbordons sur l’Alexandria. Le déjeuner est servi immédiatement. Jusqu’à l’arrivée de la France, nous avons pour le moins une heure trois quarts devant nous. Mais l’Empereur aime à prolonger ses repas. Entre les plats, on ménage de longs intervalles, pendant lesquels il cause en fumant des cigarettes.

Je suis placé à sa droite, Sazonow est à sa gauche, et le comte Fréedéricksz, ministre de la Cour, en face.

Après quelques banalités, l’Empereur m’exprime sa satisfaction de recevoir le Président de la République :

— Nous aurons à parler sérieusement, me dit-il. Je suis sûr qu’en toute chose nous nous accorderons… Mais il y a une question qui me préoccupe surtout : notre entente avec l’Angleterre. Il faut que nous l’amenions à entrer dans notre alliance. Ce serait un tel gage de paix !