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LA RUSSIE DES TSARS
PENDANT LA GRANDE GUERRE [1]

Le 12 janvier 1914, le gouvernement de la République m’avait nommé son ambassadeur auprès du tsar Nicolas II. J’avais d’abord décliné cet honneur, pour une considération de politique générale. Les derniers emplois, qui m’avaient été assignés dans le service diplomatique, m’avaient en effet placé dans une situation privilégiée pour observer le jeu des forces collectives et particulières qui préludait sourdement au conflit universel.

Pendant cinq années, depuis le mois de janvier 1907, j’avais été ministre de France à Sofia. Mon séjour prolongé au centre des affaires balkaniques m’avait permis de mesurer le péril que représentait pour l’ordre européen la quadruple conjoncture qui s’élaborait sous mes yeux, — je veux dire : l’accélération de la ruine turque, les convoitises territoriales des Bulgares, la mégalomanie romantique du tsar Ferdinand, enfin et surtout les desseins ambitieux de l’Allemagne en Orient. J’avais tiré de cette expérience tout le profit d’instruction et tout l’intérêt de curiosité que j’en pouvais attendre, quand, le 25 janvier 1912, M. Poincaré, qui venait de prendre la présidence du Conseil et le portefeuille des Affaires étrangères, m’avait rappelé à Paris pour me confier la direction des Affaires politiques. C’était

  1. Copyright by Maurice Paléologue, 1921.