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des territoires, ni pour y installer notre protectorat. Nous y sommes en vertu d’un mandat que, par application du traité de Versailles, nous avons reçu de la Société des Nations. Simple apparence, dit-on, et la réalité est que nous sommes les maîtres de la région. Pas du tout. En exécution de l’article 22 du pacte, le conseil de la Société a créé trois types de mandats, qu’il a désignés par les trois premières lettres de l’alphabet, et la catégorie A, dans laquelle rentrent notre mandat syrien, notre mandat libanais, et les mandats britanniques sur la Palestine et la Mésopotamie, comprend les États qui doivent rester indépendants et auxquels les Puissances mandataires ont simplement à prêter leur assistance. Nous n’avons donc pas même, en Asie Mineure, les droits de la catégorie B (administration sous certaines conditions par la Puissance mandataire), ni, à plus forte raison, ceux de la catégorie C (pays administrés comme partie intégrante du territoire de la Puissance mandataire) ; nous ne sommes que des auxiliaires et des conseillers de populations civilisées, appelées, dans la plus large mesure, à se gouverner elles-mêmes. C’est ainsi que l’ont compris, à notre arrivée, chrétiens et musulmans, lorsqu’ils ont accueilli nos soldats comme des libérateurs. Quelques troupes pour maintenir l’ordre, quelques agents supérieurs de contrôle, c’est tout ce que comporte la discrète tutelle que nous avons à exercer. Les habitants, qui nous aiment, seraient cruellement déçus, si nous nous présentions à eux comme des conquérants ; et, d’autre part, les Français n’admettraient pas qu’on leur imposât à eux-mêmes des charges supplémentaires pour suivre, en Orient, une vaine politique de magnificence. L’esprit si judicieux et la conscience si probe du général Gouraud sauront certainement redresser les erreurs commises, en dehors de lui, dans la première élaboration d’un programme trop onéreux. Nous pouvons faire pleine confiance à ce grand soldat.

La détermination des dépenses militaires en France même a provoqué la démission du ministre de la Guerre et le remaniement du Cabinet. Ému par la malveillante attitude de l’Allemagne, M. André Lefèvre a redouté les conséquences d’un désarmement trop rapide des vainqueurs et, plutôt que d’accepter une réduction, qu’il jugeait prématurée, de la durée du service militaire, il a résigné ses fonctions. Quoi qu’on pense sur la question où il s’est trouvé en dissentiment avec ses collègues, on ne peut que rendre hommage au désintéressement, au patriotisme et à la dignité dont il a fait preuve. Un ministre qui s’en va spontanément pour rester fidèle à ses