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successivement ; mais la connaissance exacte des faits et des personnages qui émeuvent leur imagination, la connaissance du monde d’idées et de sentiments où ils s’exaltent, la connaissance de ce qu’ils appellent et de ce qu’ils se rappellent nous serait un précieux indice sur leur nature historique et sur le chaos éternellement fécond qui se cache, au-dessous de la Rhénanie ordonnée, dans les profondeurs du fleuve : ainsi je souhaite que, de cette matière confuse et mouvante du folk-lore, nous nous fassions d’abord des idées claires.

Le Rhin, c’est le pays des légendes et des beaux paysages profonds comme des musiques. Lisez les récits des voyageurs français ou étrangers : le fleuve et ses affluents leur apparaissent toujours comme des corridors entre des sites hantés. Même interprétation des musiciens, des peintres et des lithographes. Ils laissent ainsi en dehors beaucoup d’éléments d’intérêt, et ceux-là mêmes qu’ils retiennent pourraient être considérés d’une tout autre manière que n’a fait leur romantisme, mais c’est un fait qu’il n’est pas de contrée plus chargée que celle-ci des vestiges du passé.

Il y a tel endroit du vignoble palatin d’où l’on compte treize burgs tout à la ronde, et les pentes du Mont Tonnerre ne portent pas moins de dix monastères.

Nous ne dresserons pas un catalogue des ruines de la Rhénanie : — vieilles pierres celtiques perdues sur les sommets, et que dans le pays on appelle les rochers des fées ; — innombrables témoignages des cinq siècles de l’époque romaine, puissants édifices de Trêves et de l’Eifel, aqueducs, postes de garde au long des vallées, villas avec leurs pavés de mosaïque, bains, ateliers de poteries, cimetières avec leurs urnes, temples avec leurs autels ; — frustes souvenirs des palais des rois et des empereurs francs, de l’Ingelheim près de Mayence et de l’Emmaburg près d’Aix-la-Chapelle, Pfalz de Charlemagne jadis ornés des colonnes de marbre amenées de Ravenne ou de Rome ; — forteresses du Saint-Empire, entre lesquelles au premier rang le Trifels où l’on gardait la couronne, le sceptre, le globe, la dalmatique de Charlemagne, ses gants dorés, constellés de rubis, son glaive et son aube de velours blanc avec la sainte lance et la couronne d’épines de Notre-Seigneur ; — repaires des chevaliers pillards, postes de douane établis dans les cols et sur les fleuves, résidences des grandes familles nobles, des princes de Leiningen et