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infiniment Charles Teyssèdre ; il n’y a pas de jour que je ne pense longuement à lui : il est mort, et je peux vivre. Croyez-moi, c’est l’ordre des choses. Il faut honorer et chérir les morts, comme des morts, et non comme des vivants : la vie des vivants serait affreuse, si le peuple des morts s’y mêlait, réclamant les droits qu’ils avaient pendant la vie ! » Aux dernières lignes du livre, on ne sait pas si Alain reviendra de la guerre. On sait que, si Alain revient de l’épouvantable incertitude, il épousera Claire. Ce qui rend admissible cette conclusion du livre, c’est l’incertitude et c’est le péril de mort. Admissible ainsi, pour le lecteur qui, malgré lui, fait le renchéri. Mais, pour l’abbé que, très visiblement, M. Marcel Prévost charge d’exprimer sa pensée, la conclusion que voilà n’est aucunement douteuse : elle est impérieuse, en dépit de tout.

L’abbé Bacqué parle des « temps nouveaux » et parle d’un ordre de choses imprévu. Il affirme que l’époque est neuve et qu’elle réclame un esprit nouveau. Qu’est-ce à dire ? et faut-il concevoir que la guerre ait dû produire une morale nouvelle ? Assurément, non : le fait même que l’auteur de ce roman confie à un prêtre le soin de formuler les vérités urgentes prouve qu’il ne croit pas à l’intervention possible ou légitime d’un évangile improvisé. Ce n’est pas une morale nouvelle qui intervient et qui s’impose, mais une entente nouvelle d’une éternelle vérité. Dimitte mortuos sepelire mortuos suos : ni ces mots-là ne sont récents, ni le commandement qu’ils contiennent. Mais, au lendemain de la guerre, de son désordre et de ses calamités, au lendemain de ses deuils, le commandement de vie prend un caractère de plus souveraine opportunité, de plus tragique nécessité.

On le remarquera sans doute, la signification du roman de M. Marcel Prévost ressemble à celle d’un roman de M. Henry Bordeaux que j’ai commenté ici même, la Résurrection de la chair. Dans ces deux ouvrages, les circonstances de la guerre sont du désordre et puis de l’ordre ; ils aboutissent à une conclusion qui n’évite pas de froisser la susceptibilité la plus fine du cœur alarmé. Cette conclusion blesse, et n’hésite pas à blesser, et veut blesser, parce qu’elle le doit, certaines délicatesses de l’âme. Elle est brave, elle est franche, elle est conforme aux vérités, brutales peut-être, mais incontestables.

Une beauté du roman de M. Marcel Prévost résulte, comme je l’indiquais d’abord, de sa tranquillité calme et sereine. L’on y sent la méditation parfaitement sûre d’elle-même et de sa loyauté