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Frances qui n’en sont qu’une, mais qui ont inégalement reçu l’épreuve de la guerre. Le roman de M. Marcel Prévost tente, — et n’y manque pas, — cette émouvante étude.

Certains moralistes ont annoncé, dès la guerre, maints résultats de la guerre et qui ne se sont pas tous réalisés. Il n’était pas déraisonnable d’imaginer qu’une telle commotion modifierait jusqu’aux âmes. Elle a modifié quelques âmes ; elle ne les a pas toutes modifiées et elle ne les a peut-être pas modifiées si profondément qu’on le devinait. « Les livres, les pièces de théâtre, dit M. Marcel Prévost, ont abondé sur ce changement des caractères français par reflet de la guerre ; et, si l’on veut signifier par-là des changements durables, la substitution d’un tempérament nouveau à l’ancien tempérament français, ce n’est qu’une thèse imaginative, qu’une formule de littérature. Le fait d’observation, c’est qu’au lendemain du coup de tonnerre inattendu, au lendemain de la mobilisation, la menace commune suspendue sur leur tête fit mieux sentir aux Français qu’ils étaient une famille. Quelque temps, on céda au désir de s’entr’aimer dans l’amour commun de la patrie. État de sensibilité aiguë, qui ne pouvait durer… » Ces lignes sont assez mélancoliques : elles notent l’échec d’une espérance qui avait de la beauté. Ou, du moins, la constatation que M. Marcel Prévost note en ces quelques lignes est fâcheuse ; mais il y a plaisir à n’être pas dupe : M. Marcel Prévost préfère la vérité, c’est pour cela qu’il la dit sans tristesse.

Alors, aucun changement durable ?… Avant de répondre, il faut résumer le roman de M. Marcel Prévost.

Claire de Ribière est une orpheline. Son père et sa mère sont morts en Argentine. il y a une douzaine d’années. Elle a vingt ans. Depuis la mort de ses parents, elle demeure chez un oncle et une tante de Ribière, petits châtelains du pays d’Albret. Sa vie au château de Lascos n’est pas une merveille de félicité, comme en témoigne la prière qu’elle adresse à Dieu soir et matin : « Accordez, mon Dieu, votre paix éternelle à mon père chéri, à ma mère chérie. Que j’aie du courage. Que ma tante ne soit pas nerveuse. Que mon oncle ne se mette point en colère. Qu’ils ne se disputent pas. Mon Dieu, donnez-leur la santé, le contentement et le calme. Faites que je n’engraisse pas trop et que je ne sois pas trop rouge. » L’oncle et la tante de Ribière ont un fils, Roland, qui va sortir du collège et qui est un polisson. Tatie, — Mme de Ribière, — a grand’peur que son polisson de Roland ne s’éprenne de Claire ; et, pour éviter cet inconvénient, elle a recours à un moyen qui révèle tout nettement son égoïsme