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été ponctuellement exécuté. Ils avaient passé le mois de juillet à Interlaken et à Grindenwald, et le mois d’août dans un petit coin appelé Étretat, sur la côte normande, recommandé comme tranquille et pittoresque. Une ou deux fois, dans la montagne, Archer avait montré la direction du Midi : « L’Italie ! » avait-il dit, et May, les pieds dans un fouillis de gentiane, avait répondu, avec son gai sourire : « Oui, l’hiver prochain, si vous n’étiez pas retenu à New-York, ce serait charmant d’aller à Rome. » En réalité, les voyages la laissaient encore plus indifférente qu’Archer ne l’avait imaginé. Elle n’y cherchait, une fois ses toilettes choisies, que des occasions de faire du « sport, » marcher, monter à cheval, nager, et aussi s’entraîner au nouveau jeu passionnant du lawn-tennis ; et quand, enfin, ils s’arrêtèrent à Londres pour une quinzaine, afin qu’Archer à son tour passât aux mains de son tailleur, elle ne cacha plus son impatience de se rembarquer. À Londres, rien ne l’intéressait que les théâtres et les magasins. Encore trouvait-elle les théâtres moins amusants que les cafés-chantants de Paris, où, sous les marronniers en fleurs des Champs-Élysées, elle avait entendu des chansons dont son mari lui traduisait les quelques couplets présentables aux oreilles d’une jeune mariée.

Archer en revenait à sa conception héréditaire du mariage. Se conformer à la tradition, ne demander à May que ce qu’il avait vu ses amis demander à leurs femmes, c’était plus aisé que de faire l’expérience dont, jeune homme, il avait rêvé. Pourquoi émanciper une femme qui ne se doutait pas qu’elle fût sous un joug ? Le seul usage qu’elle ferait de son indépendance serait d’en offrir le sacrifice à l’autel conjugal. Tout tendait donc à ramener Archer aux vieilles idées. S’il y avait eu de la mesquinerie dans la simplicité de May, il se serait irrité, révolté. Mais le caractère de la jeune femme était d’un dessin aussi noble que celui de son visage, et elle semblait être la divinité tutélaire de toutes les traditions qu’il avait révérées.

Ces belles qualités faisaient d’elle la plus aimable compagne mais n’animaient guère le voyage. Archer comprenait pourtant que, dans le milieu qui les attendait, elles reprendraient leur valeur. Ses goûts à lui, littéraires et artistiques, trouveraient leur aliment, comme par le passé, au dehors ; mais son intérieur n’aurait rien d’étouffant, et quand les enfants viendraient, rien ne manquerait à la douceur de leur vie commune.