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connaître exactement les ressources dont il dispose, en argent, en matériel, en munitions, en équipements, en vivres, en cantonnements. Il lui faut des troupes manœuvrières et la connaissance du terrain, un service d’espionnage bien fait, un service de reconnaissance pour se garder, un service routier et des voitures pour assurer la marche. C’est déjà la division on bureaux de nos états-majors : 1er bureau, ressources de toute nature ; 2e bureau, renseignements ; 3e bureau, opérations ; 4e transports. Fort de son expérience qui lui a montré les ruines de la guerre, le duc de Nemours donne ce conseil qu’il nous faut méditer trois fois : « Fault se souvenir que les grands cappitaines ont fui les batailles en leur pays et les ont cherché sur l’aultruy comme conquérans… » Il préconise l’attaque brusquée sur un ennemi surpris, ou en désordre, ou non fortifié et, pour une ville forte, la patience, la tranchée et la sape. Il enseigne encore l’art de la retraite simulée : « Fault quelquefois que le capitaine face semblant de se retirer et monstrer d’avoir poeur, pour attirer son ennemy en lieu désavantageux pour combattre, et toutefois faisant ce mouvement se mettre en meilleur ordre de combattre… » On voit que la manœuvre de la Marne n’était pas inconnue. Mais il a ses préférences pour l’offensive : « Qui charge le premier ha grand avantage. » Le plus grand art est de n’être ni hâtif, ni tardif. L’occasion est brève à la guerre : l’important est de la saisir opportunément. Les liaisons sont encore sa grande préoccupation : une campagne, une bataille sont coordonnées. Pour l’artillerie, au lieu de la masser, il préfère la séparer en quatre quarts, afin qu’elle serve à toutes les troupes au combat. Enfin, il donne une méthode pour combattre les reitres et une autre pour combattre les Suisses, les uns et les autres ayant leurs manœuvres et leurs formations particulières. Comme on a pu s’en rendre compte par ce bref exposé, un duc de Nemours se serait promptement formé à la guerre moderne. Un grand capitaine, comme un grand artiste, est de tous les temps.

Ses fils, sans l’égaler, lui firent assez d’honneur. Charles-Emmanuel prit part aux luttes de la Ligue, fut gouverneur de Paris et mourut à vingt-sept ans. Henri, son frère, guerroya contre Henri IV, se soumit, vint résider à Annecy où sa Cour fut brillante et lettrée. Il y reçut Honoré d’Urfé, y encouragea la fondation de l’Académie florimontane par saint François de