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Saint-Barthélémy, qu’il blâma. Mais il ne s’obstine pas à faire figure quand il ne peut plus remplir l’office.

Je suis, en si mauvais état, écrit-il au duc de Savoie, que si on me donnoit un royaume pour demeurer auprès du plus grand prince du monde ordinairement, je m’en excuserois car il me seroit impossible de porter la peine ny le travail, ne demandant que repos de corps et d’esprit et estre en un lieu à mon aise propre à ma santé esloigné de toutes affaires[1]. » Dès lors il s’écarte de la Cour, il vit la plupart du temps à Annecy, puis au château de Moncalieri, près de Turin. On sait que sa femme supportait mal cette solitude et l’abandonnait fréquemment pour courir à ses honnêtes intrigues de mère prévoyante. Ce don Juan devait vieillir seul le plus souvent, et loin de la femme de son choix qui, pourtant, l’aimait tendrement, mais avec son humeur, laquelle était remuante. Le plus souvent alité, il accueillait maintenant la souffrance avec la bonne grâce que jadis il montrait aux dames et s’imposait de ne fatiguer personne de ses plaintes, de recevoir courtoisement tous ceux qui venaient encore lui demander service ou conseil.

Son confesseur lui a rendu ce témoignage : « Tant plus son mal alloit croissant, tant plus s’augmentoiént en luy patience et dévotion, luy-mesmes composant et couchant par escrit ses oraisons et prières, esqueles l’on conoistra à l’avenir la ferveur de sa dévotion et résignation en la main de Dieu. » Quand la douleur lui arrachait un cri, il s’en excusait aussitôt en toute urbanité. Il se prépara longuement et saintement à la mort qu’il vit venir sans crainte. Elle l’avait épargné sur les champs de bataille, mais pour le prendre en détail, lui permettant toutefois de ciseler son cœur et son esprit et d’épurer ses fortes passions. Il mourut à Moncalieri le 18 juin 1585.

Or il a laissé un testament dont le style et la pensée font de lui un écrivain d’un rare mérite. Il s’y adresse à ses enfants et, après leur avoir donné des conseils de droiture dans la vie, il leur enseigne comment on prend part au gouvernement et comment on conduit les armées. C’est le fruit de son expérience qu’il leur offre. Mais notre expérience sert-elle à nos successeurs ? Ils referont eux-mêmes le chemin, et peut-être est-ce mieux ainsi. L’expérience, a dit je ne sais quel moraliste imagé,

  1. Vita di Maria-Francesca-Elisabetta di Savoia-Nemours, regina di Portogallo, per il barone Gaudenzio Claretta (Torino, 1885).