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indispensable qu’elle se rappelle les vieilles distinctions que faisait Platon, dans le Gorgias, entre la sophistique et la législation, entre la rhétorique et la politique, entre les mots et les réalités. Ce n’est, ni de renommée pour nos hommes d’État, ni même de gloire pour notre pays que nous avons, en ce moment, besoin. Des compliments et des félicitations, nous en avons reçu au-delà de toute espérance. Nous attendons maintenant les grains de mil. Ceux qui nous acclament le plus s’imaginent volontiers qu’ils s’acquittent envers nous par quelques témoignages de politesse, et, quand on nous a donné publiquement de grandes marques d’admiration, nous restons écrasés sous les fleurs qu’on nous a offertes.

Abordons désormais nos alliés et nos amis avec une préoccupation moins vive du qu’en dira-t-on et un souci plus positif des résultats; et surtout, pour aboutir, donnons-nous la peine de prendre, dans l’examen des questions discutées, une position franchement objective. Nous sommes toujours portés à croire que nos interlocuteurs ont sur toutes choses les mêmes renseignements que nous, les mêmes intérêts, la même façon de raisonner et, par suite, dès que nous nous trouvons en contradiction avec eux, nous accusons volontiers leur mauvaise volonté ou leur mauvaise foi. C’est ce qui se passe, en ce moment, dans nos rapports avec l’Angleterre. On voudra bien reconnaître que, depuis quelques mois, je n’ai pas ménagé les critiques à la politique du cabinet de Londres, et il est malheureusement probable que j’aurai encore de nombreuses occasions d’en signaler les périls. Mais il y a, à l’heure présente, dans une grande partie de l’opinion française, un mécontentement, pour ne pas dire une exaspération, qui ne nous aidera point à régler les difficultés pendantes et que nous aurions avantage à ne pas laisser grandir. Nous ferions mieux d’essayer de comprendre les raisons des Anglais, même les plus mauvaises, de façon à les combattre avec plus de force et d’autorité.

Ces jours-ci encore, un Anglais, qui occupe une situation importante et qui est allé plusieurs fois à Berlin depuis la guerre, reprenait, en causant avec moi, le thème que M. Winston Churchill a développé dans son dernier discours : « L’avenir de l’Europe dépend d’une bonne entente entre l’Angleterre, la France et l’Allemagne. » J’essayais naturellement de démontrer à mon visiteur que la réalisation de l’idée de M. Churchill était, avant tout, subordonnée à l’exécution loyale des engagements de l’Allemagne. Qu’elle désarme, qu’elle paie, qu’elle abandonne toute pensée de revanche, et, à défaut