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Sous prétexte qu’il ne doit plus y avoir de négociations secrètes et que les démocraties souveraines ont le droit de connaître, au fur et à mesure, tous les pourparlers engagés, on a renoncé aux vieux usages et aux compétences éprouvées. Des diplomates qui se réuniraient dans un cabinet, à l’abri des curiosités et des indiscrétions, quel scandale ne serait-ce pas en ce temps de belle franchise et de noble liberté ? Lorsqu’il a tenté de définir les principes essentiels du culte de l’incompétence, Emile Faguet a fait remonter l’origine de cette religion moderne au tribunal plébéien qui s’est substitué à l’ancienne justice athénienne et qui a condamné Socrate à mort. Peut-être allait-il chercher un peu haut les sources du mal qu’il dénonçait ; mais il en montrait assez exactement les effets, lorsqu’il indiquait, après Montesquieu, que l’écueil des démocraties, c’était qu’elles voulaient tout faire par elles-mêmes. Encore faut-il remarquer qu’au moment où Faguet composait son petit livre, il signalait cette tendance à l’absorption des pouvoirs chez la représentation nationale et chez le peuple lui-même, tandis qu’aujourd’hui elle ne se manifeste pas seulement dans le peuple, qui détient la souveraineté, ni dans la représentation nationale, qui délibère et légifère au nom du peuple, mais dans les gouvernements qui sont chargés d’administrer les affaires du pays.

Depuis l’institution du Conseil suprême, il y a eu une véritable expropriation des Chambres et une personnification anormale des nations en quelques hommes politiques de premier plan. Devant l’opinion du monde, l’Angleterre s’est incarnée en M. Lloyd George ; l’Amérique s’est successivement identifiée avec M. Wilson et avec M. Harding; la France avec M. Clemenceau ou M. Briand. Si M. Lloyd George éternue, nous croyons que l’Angleterre est enrhumée; si un journaliste malintentionné prête une boutade à M. Clemenceau ou à M. Briand, c’est à la France qu’on s’en prend. Qu’est-ce, en effet, que la nouvelle publicité diplomatique et quelles garanties offre-t-elle à la vérité? Chaque ministre arrive, soit aux séances du Conseil suprême, soit à la Conférence de Washington, suivi d’un tel cortège de secrétaires, d’employés, d’experts, de dactylographes, qu’il faut, pour transporter tout ce monde, des trains entiers et des paquebots de grand tonnage. Journalistes et photographes viennent, bien entendu, réclamer leurs privilèges. Comment ne leur pas réserver quelques places? Et voilà toute une ville qui flotte entre le Havre et New-York. Puisque la Conférence est publique, chaque nation y sera ainsi représentée par une multitude bigarrée d’hommes