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d’avance. Et puis chacun pioche dans le pot. On se tait. Car le paysan s’assouvit en silence. Mais le bourret circule. Il ragaillardit les langues. Les paroles abondent, comme après la messe, là-bas. D’ailleurs on sert « las irolles. »

Le bourret coule de plus belle. Le vin est un tantinet piquant, le fruit un tantinet sucré : leurs saveurs fondues se font valoir. Et les cosses s’amoncellent à mesure que les bouteilles descendent. Et ce serait un pillage sans la daoune qui se lève. Tous l’imitent. Elle replace la daube devant le souc pour le lendemain, et le fils rapporte à la cave le reste du bourret, qui doit être achevé au premier de l’an. Le chien, il va sans dire, a goûté de tout, en récompense de sa faction. La tête sur les genoux du maître, il a tout pris de ses doigts.

On se couche enfin. Le lendemain et le surlendemain seront fêtes encore. Non seulement pour les hommes, mais aussi pour les animaux. Si l’homme les a prêtés à l’Enfant-Dieu, ils l’ont complaisamment assisté : « Quan bién bouhat : » ils ont bien soufflé dessus. On les lâche sur des chaumes où marquent encore leurs pas, dans les landes fraîchement rasées, sans garde aucune. Là, tandis que les maîtres se récréent ou flânent, à la chasse, en visite dans les métairies voisines, et que les anciens s’assoient au soleil, les mains sur les genoux, toutes les bêtes libres pâturent ou ruminent, ou se délassent au vent tiède qui souffle de l’Espagne. Il convient qu’elles connaissent aussi un jour « lou sourt hourous. » Seulement, pour les retrouver, le soir, on suspend des clochettes à leurs cous, des clochettes accordées, d’un son différent pour chaque troupeau. Elles se répondent de pacage en pacage. Elles tintent de tous les points du pays. Et, quand l’ombre est faite, et que les troupeaux, inquiétés par la nuit, se rassemblent, avant même qu’on les cherche, ces sonnailles agitées plus fort évoquent les carillons de l’heure miraculeuse, mêlés au bruit du vol de l’Ange.


JOSEPH DE PESQUIDOUX.