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roule dans la rue : bruit de la foule coupé de cris et de sifflets. Et tout à coup, des voix éclatent. « A las canoles ! à las canoles! » Ce sont « las cocassères, » les marchandes de gâteaux, de canoles, nom générique des pâtisseries de Nadaou, qui promènent et offrent leurs gâteaux. Il y en a de toute sorte : des ronds et des bombés comme des couronnes, des tressés comme des nattes et d’autres tortillés en forme de huit, et d’autres levés en forme de petits pains. Ils sont croquants, sucrés, et parfumés de grains d’anis. En un moment les corbeilles sont vidées. Chacun fait emplette pour les petits, pour les anciens. On en met partout : dans ses poches, au bout des cannes, enfilés, dans les lanternes soufflées, les uns sur les autres. Et l’on se groupe de nouveau comme à l’aller, quartier par quartier, et en route pour la maison. A mesure que l’on arrive, on s’égrène et on se quitte. Et les sabots ont repris leur chanson, mais seuls, cette fois, sous la lune qui inonde le pays de ses feux doux. La lune qui ramène ces gens chez eux avant de s’en aller, si claire encore qu’elle projette des ombres crues, par-dessus lesquelles on a envie de sauter,

A la maison, le même spectacle enchante chaque année ceux qui rentrent. Les lampes sont mortes, les anciens dorment sur leurs chaises. Le souc ardent éclaire seul la cuisine. Au courant d’air de la porte qui l’attise, il jette un long reflet. Et les animaux apparaissent dans leur attitude instinctive. Le chat ronfle en boule, la patte encore tendue vers les châtaignes trop chaudes pour y toucher, le chien, l’ami fidèle, accroupi comme un sphinx, les oreilles droites, écoute le ronronnement du pot de daube. En même temps il veille, et sur le félin, compagnon peu sûr, et sur les vieillards qui peuvent choir. Le maître, en effet, l’a commis à la garde des choses et des lieux. Il n’a point bougé d’une ligne... « Bou diou! » il avait autre chose à faire vraiment, cette nuit, qu’aboyer aux passants... Mais les voici revenus. Il n’est plus de faction. Il gambade et se fait caresser. Et les autres s’éveillent en sursaut. Et le maître commande : « A table !» — Et les assiettes et les couverts et les verres courent sur la toile cirée, et le fils « galope » à la cave chercher le « bourret, » quelques bouteilles de vin nouveau, dépouillé par les derniers froids, et que l’on va goûter. Enfin, la daube est mise sur la table. On s’assied. On la découvre. Elle emplit la pièce de son odeur. On la hume, on la vante, on la déguste