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Villemain répond à son ami quelques jours plus tard pour lui apprendre le projet inattendu auquel s’est arrêté le ministre. Sa lettre embarrassée abonde en réticences. On le sent contraint, mal contant de soi, assez honteux de plaider le pire.

« M. Guizot t’a écrit ou va t’écrire son projet. Ce n’est pas une place ni une faveur, mais un travail, je le sais. Ce travail, s’il ne t’ennuie pas, peut être d’une véritable originalité et serait pour toi un grand moyen d’aisance. Mon cher ami, je conçois ton désir, ton besoin, ta passion de revenir à Paris ; il faut seulement pour toi Paris avec assez de fortune et pour cela il te faut le produit d’un travail extrêmement populaire, comme l’abrégé d’histoire que te propose M. Guizot. Quant à ton projet d’agrégation, c’est une plaisanterie, tu es agrégé à la corporation de Tacite, Commines, Machiavel, de Thou, Voltaire, etc. corporation fort diverse et fort libre.

« Je regrette bien que tu abandonnes ton grand livre. S’il te faut Paris pour le faire, je voudrais avoir la puissance de t’y installer avec dix mille livres de rentes. Quoi qu’il en soit, mon cher ami, dicte quelques mots pour m’apprendre si l’idée du ministre t’agrée ou du moins ne te répugne pas. Je te prie de croire à mon invariable affection. »

Un grand malheur avait empêché Guizot d’écrire. Il venait de perdre sa seconde femme si tendrement aimée. L’orgueil lui fléchit sous le coup qui le broie. Dans sa douleur profonde, il se penche vers une autre affliction, trace alors pour Augustin Thierry cette lettre où perce à chaque ligne son mortel chagrin, si différente par l’émotion qu’elle dégage du ton de sécheresse hautaine habituel à sa correspondance.

« Paris, 17 septembre 1833.
« Mon cher ami,

« Ne me reprochez pas de ne pas vous avoir écrit ; ne me reprochez rien. Je fais chaque jour ce que commande la nécessité, la nécessité absolue ; et quand j’y ai suffi, je rentre dans ma chambre, pour dormir, si je peux, pour rêver en liberté, si je ne dors pas. Vous avez beaucoup souffert, vous avez vu