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Augustin Thierry pouvait d’autant mieux croire au rapide accomplissement de ces promesses qu’à peine installé, le ministre chargeait sa femme de les renouveler en son nom.

« C’est moi, monsieur, écrit Mme Guizot, le 18 octobre 1832, qui suis priée de vous répondre, car mon mari est, vous pouvez le penser, bien occupé en ce moment. Au reste, ces occupations lui sont agréables et chères ; il aime à se retrouver au milieu de ses anciens collègues, de ses vieilles habitudes universitaires, à se sentir appelé à réaliser tant de projets, tant de désirs qui ont depuis longtemps fermenté dans toutes les têtes scientifiques. Il est aussi heureux de penser qu’il pourra, dans sa nouvelle position, rendre quelques services à des personnes dont la carrière fut longtemps la sienne et dont l’amitié est encore un de ses biens les plus précieux. Cherchez, monsieur, ingéniez-vous à voir comment il pourrait vous être utile ; il pense beaucoup à vous et vous prie d’y penser vous-même ; mandez-nous toutes vos idées sur votre position et sur les améliorations qu’elle pourrait recevoir. Ce serait un beau jour pour M. Guizot que celui où il vous tirerait de peine pour le présent, d’inquiétude pour l’avenir. »

Ce n’est pas seulement du premier trône restauré que datent les grandes ingratitudes, et l’initiateur de la renaissance historique en France va connaître à son tour l’indifférence et l’oubli. Successivement, il verra élever aux plus hautes charges de l’Etat ses émules ou ses amis : Garante, ambassadeur en Russie ; Mignet, directeur des Archives aux Affaires étrangères ; Villemain, vice-président du Conseil royal, de l’Université, désigné pour la pairie.

Et pendant qu’ils grandissent ainsi, lui, trois années encore, restera dédaigné à Vesoul, en posture humiliée de quémandeur qu’on promène et qu’on lanterne. Il en souffre dans son orgueil justement blessé, plus encore dans sa confiance trahie et ses affections déçues. Alors commence l’un des plus douloureux épisodes de cette vie douloureuse : véritable crise morale, dont on suit les progrès attristants, dans la correspondance qu’on va lire.

Sa première pensée a été de rentrer dans l’Université. Sur la foi des assurances de Guizot, il a demandé, certain de l’obtenir, un poste d’inspecteur d’Académie vacant à Paris, et prié Villemain de suivre l’affaire et d’intervenir au besoin,