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Instruite et déliée d’intelligence, se piquant de bel esprit, elle avait reçu une éducation brillante à la Maison impériale d’Ecouen, sous la direction illustre de Mme Campan.

De ses rapports avec la surintendante, qui durèrent jusqu’à la mort de celle-ci, elle avait conservé l’amour des lettres et le penchant d’écrire ; inclination véritable qu’était venue fortifier encore son intimité avec Mme Mélanie Waldor. 1831 ! toute une pléiade de femmes-auteurs se lève à l’horizon littéraire : c’est l’année où débutent George Sand et Anaïs Ségalas. Mme Tastu a donné déjà ses Oiseaux du Sacre Mélanie Waldor publie son premier roman : l’Écuyer d’Auberon. Mme Desbordes-Valmore et Delphine Gay sont en pleine réputation. Julie de Quérangal brûlait de marcher sur leurs traces.

L’arrivée d’Augustin Thierry, bientôt connue dans la petite ville, éveilla son plus vif intérêt. Elle professait pour l’historien une enthousiaste admiration Dans une lettre à sa cousine Laurence, plus tard Mme de Tréveret, elle s’avoue « transportée» par la lecture de la Conquête.

Comment arriver jusqu’à lui ; s’en faire apprécier et distinguer? Julie de Quérangal s’ouvrit de son désir à Mlle Désirée. Au nombre de ses parents, l’obligeante vieille fille comptait un cousin, M. Galmiche, conseiller de préfecture de la Haute-Saône, qui, par fortune, se trouvait à Luxeuil. Il connaissait naturellement son préfet et se chargea des présentations.

Tous ceux qui l’approchèrent : Nisard, Loménie de Brienne, Renan, l’abbé Perraud, le Père Gratry, l’ont constaté, Augustin Thierry possédait un charme de séduction incomparable. Causeur éblouissant, il s’exprimait avec une étonnante poésie de pensées et de mots Science, histoire, musique, anecdotes, souvenirs de jeunesse, il abordait tous les sujets avec un enchantement égal, d’une parole souple, élégante, colorée, nerveuse et noble. « Cet aveugle connaît tout, sait tout, se souvient de tout, écrira Loménie de Brienne ; ce qu’il n’a pas vu avec les yeux du corps, il l’a vu avec les yeux de l’esprit, » et si l’on veut des témoignages féminins, la comtesse de Circourt, Mmes de Tracy, de Corcelle, après lady Holland et la princesse Belgiojoso, ont loué « sa conversation sans pareille, toujours lumineuse, éloquente, sans apprêt, éveillée à la plus sérieuse intimité. »

Dès leur première rencontre, Mlle de Quérangal fut conquise et l’écrivain, de son côté, insensiblement gagné par une