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vain, » plus beau parce qu’il est inutile, en tout semblable à celui d’un Pierre Vidal, d’un Arnaud-Daniel, d’un Pétrarque qui fut leur disciple, ou d’un Dante que mène vers le Paradis sa Béatrice et qui pense, lui aussi, comme frère Trophime, ce chapelain de Provence, que c’est pour le ciel que les grandes amours travaillent. « Cet Évangile a quelque chose de provençal, » disait avec raison ici même de la Samaritaine Jules Lemaître, se rappelant sans doute que l’Evangile fut apporté en Provence par les Saintes-Maries.

Qu’on y songe : ce sentiment de l’amour, tel que le conçut notre moyen âge méridional, il avait fui notre littérature depuis l’époque des Précieux. Les classiques s’étaient appliqués à peindre la passion plus encore que l’amour, « Vénus tout entière à sa proie attachée, » ou le devoir luttant contre elle. Au XVIIIe siècle, l’amour devient galant ou libertin, et chez les romantiques c’est encore la passion qui triomphe et supprime tout obstacle. Mais dans le théâtre de Rostand, nous retrouvons les sentiments de nos poètes du moyen âge, qu’on n’avait plus interprétés en France depuis des siècles, et c’est peut-être aussi la raison de son succès, bien d’accord avec le vieil idéal d’une grande partie de la race.


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En même temps, il y a chez lui cette extrême sensibilité adoucie et fondue en un sourire, qui semble excuser l’attendrissement, qui est la pudeur même de cet attendrissement, un voile de lumière jeté sur une figure attristée. Cela est proprement provençal. Ce n’est pas précisément le mélange de grotesque et de sublime que les romantiques avaient préconisé et tenté de pratiquer. Ce mélange au reste ne fut jamais qu’une juxtaposition. On rit au quatrième acte de Ruy Blas, on tremble et l’on pleure au cinquième, mais dans le cours d’un même acte ou à coup sûr d’une même scène, il n’y a point ce mélange de rire et de pleurs, que Victor Hugo avait annoncé bruyamment dans la préface de Cromwell.

Or lisons la mort de Joffroy Rudel, celle de Cyrano, celle du duc de Reichstadt. L’un détaille avec une subtilité de troubadour, encore élégante devant la mort, la beauté de Mélissinde, l’autre sourit en disant qu’il ne va plus avoir besoin de machine cette fois pour monter dans la lune, l’autre enfin, pâle