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Mais quand on se sent chez soi, dans ce temple de la Grèce, on peut être familier avec ses dieux, on peut s’égayer un peu en leur compagnie, leur faire la surprise de lancer à travers le Bois sacré une automobile, ou comparer le lit d’Omphale à celui de Mme Récamier. Gamineries qu’un Leconte de Liste, un Albert Samain, un Banville même n’eussent jamais osé commettre ; car ils sont là, toujours un peu raides et solennels en cette Grèce, comme des invités. Edmond Rostand, lui, c’est l’enfant de la maison ; il joue avec les dieux du foyer paternel.


Ainsi, Grec et Provençal, ce poète est naturellement paresseux… Paresse féconde, qu’il chantait dès ses vingt ans, quand il présentait ses premiers vers sous ce titre significatif : les Musardises, titre qu’il confirmait dans une préface, où il indiquait que « les musards sont de certains bateleurs et jongleurs provençaux d’origine, qui s’en allaient de par le monde en récitant. » Et plus tard, sur ce livre même il inscrivait un sonnet exquis[1], où il ne se déclarait pas aussi sûr que le bon Huet, évêque d’Avranches, que le mot musard vint de musa, musæ, préférant lui conserver le sens que lui donne le dictionnaire et qu’il mettait bravement en tête de son avis au lecteur : « Musarder — v. n. perdre son temps à des riens, » ou le sens de « rêvasserie douce, chère flânerie, paresseuse délectation à contempler un objet ou une idée. »

D’ailleurs, ne disait-il pas lui-même : « Quand on est un poète, on est un paresseux[2] ? » et quand il essayait de s’analyser, il découvrait en lui « une profonde franchise, un cœur fier, qui n’a jamais voulu tromper, un superbe refus de se donner la peine de jouer un rôle devant le monde, un grand mépris de toute hypocrisie, » et il se demandait en terminant si ce grand désir de sincérité n’était pas « tout simplement l’effet d’une extrême paresse. »[3].

Paresse… oui… mais il faut s’entendre sur cette paresse des Méridionaux ; c’est une paresse active où l’esprit ne s’engourdit point, mais construit, invente, imagine, et c’est aussi la paresse de celui qui se repose, quand il vient de courir et sait qu’il doit

  1. Les Musardises, 2e édit. p. 122.
  2. Ibid. p. 120.
  3. Ibid. p. 157.